Rêves et jeux vidéo : partie 1

Super Mario Bros 2

Le rêve est un élément scénaristique parfois utilisé dans le monde du cinéma, mais également dans celui du jeu vidéo. Il permet en effet, entre autres, de dépasser les limites et la cohérence d’un univers donné. C’est aujourd’hui l’utilisation même du rêve dans le média que nous allons évoquer ensemble dans cette première partie, ainsi que quelques jeux anciens centrés sur le rêve.

Rêve et psychanalyse

Le rêve est mentionné dans l’histoire de l’homme depuis des siècles. On le retrouve ainsi dans la Bible sous forme de songes (songe de Joseph, genèse 40 et Mt1). Dans la Grèce antique et chez les romains, ils étaient vus comme message que les Dieux envoyaient aux humains via les songes des Oracles

Dans le domaine de la psychanalyse, le rêve fut érigé en 1900 comme la voie royale vers l’inconscient par Sigmund Freud, qui en fit avec « L’interprétation des rêves », une des pierres fondatrices de la discipline. Pour lui, c’est l’inconscient qui s’exprime dans le rêve : c’est l’« accomplissement d’un souhait » mais sous le contenu manifeste se cache un contenu latent. En effet, le travail du rêve en modifie le contenu (dramatisation, condensation, déplacement, symbolisation) : les personnes, lieux, symboles changent. Contrairement à ce qu’on peut parfois penser, c’est grâce à l’analyse et l’élaboration du patient que le récit onirique peut faire sens au regard de la singularité du patient.

Les éléments symboliques clés du rêve ne sont donnés par Freud qu’à titre de pistes pour relancer une panne discursive « la traduction du symbole à laquelle nous avons recours s’y ajoute comme moyen auxiliaire ». Ainsi, la mer, les grottes etc. représenteraient la femme, les cravates, épées, revolvers et armes contondantes représenteraient le masculin et son sexe, etc. Cette symbolique des éléments a par ailleurs été reprise par le psychanalyste Bruno Bettelheim pour une psychanalyse des contes de fées, dont nous avons récemment repris le principe pour lire les films Super Mario Bros et la Petite sirène.

Pour Freud, le rêve n’est pas que l’accomplissement d’un désir, comme c’est le cas avec le cauchemar, où c’est ici l’objet d’angoisse qui se dévoile. Cela se rencontre notamment avec les traumatisés (de guerre d’abord, mais aussi d’accident, agression etc.) qui revive la scène traumatique chaque soir. Ce genre de trauma peut être pris en charge entre autres par des thérapies de type EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing).

Aujourd’hui, nous avons une meilleure connaissance du fonctionnement du cerveau. Le rêve survient dans une phase de sommeil dite paradoxale, qui suit l’endormissement, sommeil lent et profond. Le cerveau, alors très actif, stocke les informations à converser en mémoire à long terme et élimine le reste. Les images oniriques seraient la résultante de ce tri.

Rêve et pop-culture

Inception – Abre los ojos, Paprika

Le rêve est utilisé dans la littérature, fréquemment dans le cinéma (Inception, La cité des enfants perdus, Abre los ojos, ou encore Paprika et Little Nemo pour l’animation…) et les jeux vidéo, car il permet notamment de dépasser la suspension consentie de l’incrédulité. Dans un film ou un jeu vidéo, le spectateur/ joueur est d’accord pour que les lois physiques de notre monde ne soient pas respectées.  Un homme vole en collant rouge, et n’est plus reconnu dès qu’il enlève ses lunettes, nous y croyons, tant que l’univers proposé reste fidèle aux prérequis. Mais quand dans certains films, un humain sans pouvoir se faire abattre et revient trois scènes plus tard tout juste blessé à l’hôpital, nous y croyons plus défilement, ou alors il fallait préciser que les humains étaient invulnérables.

Tout comme l’utilisation de phases de délire dont nous avions parlé dans un précédent article, l’utilisation du rêve est un procédé qui permet de dépasser cette limite. En effet, chaque rêveur en a fait l’expérience : plus de contraintes de cohérence, les changements de personnages ou de lieux peuvent avoir lieu en plein milieu d’un rêve. Dans le film Vanilla Sky de Cameron Crowe, Tom Cruise est au lit avec Penelope Cruz, et quelques secondes plus tard, c’est Cameron Diaz qui est présente :  le spectateur ne peut y croire que si c’est un rêve.

Il peut donc être utile dans le jeu vidéo de multiples manières, ce que nous allons voir, en commençant par les jeux plus anciens. Plongée dans le retrogaming :

Rêve et retrogaming

Premier jeu connu où il s’agit de rêve : Super Mario Bros 2 (USA),(NES, 1988) : la notice nous dit que Mario fait un rêve où il monte un escalier et ouvre une porte sur un pays appelé « subcon » (référence par ailleurs identique dans la notice en américain) pour finalement se réveiller, et revivre la scène. Le rêve était donc une prémonition. Si on essaye d’interpréter ce rêve comme nous le ferions si un patient nous le racontait, on découvre que, selon Freud, l’ascension d’un escalier symbolise dans le rêve le rapport sexuel. Il parle de « paliers rythmiques, avec un essoufflement croissant, on arrive à un sommet ». Or, le joueur apprend à la fin du jeu que celui-ci n’était qu’un rêve. Il s’agit ici d’une simple pirouette scénaristique pour justifier la différence d’univers, le jeu étant en effet l’adaptation d’un autre jeu qui n’est pas issu de l’univers Mario. On pourrait même imaginer que les portes des zones bonus plongées dans le noir sont en fait un semi-réveil de Mario qui entrevoit sa chambre plongée dans la pénombre ?

L’interprétation de l’escalier comme symbole d’un rapport sexuel est donc ici erronée. D’une part parce qu’il n’y a aucune association libre du patient, puisqu’il n’est ici que virtuel.  D’autre part, parce que la symbolique est loin d’être aussi exacte et systématique que certains ouvrages grand public voudraient le faire penser. On attribue d’ailleurs à Freud la célèbre phrase « Parfois, un cigare n’est rien d’autre qu’un cigare ».

Super Mario Bros 2
Super Mario Bros 2

Kirby’s Dream Land (Game Boy, 1992) : même idée qu’avec Super Mario Bros 2, le monde des rêves n’est juste qu’un cadre scénaristique comme un autre, les propriétés du rêve n’étant ici pas spécialement exploitées, tout comme dans Nightmare Busters (Super Nintendo, 1994)

Little Nemo The dream master (NES et arcade, 1990) est un jeu adapté du dessin animé et de la bande dessinée (1905) du même nom, qui vient par ailleurs d’être de nouveau adapté avec des acteurs sur Netflix. Il s’agit d’un jeu de plateforme où le joueur évolue dans le royaume de Morphée, chaque niveau étant un rêve différent. Le rêve sert ici à justifier de l’univers surréaliste, qu’on aurait accepté de toute façon. En revanche, l’idée de rêves différents permet de prendre des libertés avec une cohérence de gameplay habituellement courante et recherchée dans le jeu vidéo.

Ce principe se retrouve dans Bart’s Nightmare (Super Nintendo et Megadrive, 1993), énième jeu de la franchise des Simpsons. Le jeu débute avec Bart qui s’endort en travaillant son exposé, les feuilles s’envolent et le jeune garçon se retrouve dans une rue rappelant Evergreen Terrasse, avec des éléments surréalistes même pour l’univers des Simpsons. Cela enrichit l’expérience pour les fans sans en trahir l’univers, ce qui n’est possible qu’avec le rêve.

Bart entre régulièrement dans des feuilles de cours qui errent au grès du vent, lui donnant accès à des niveaux tous très différents les uns des autres. Ces niveaux sont tous des références à la série (Itchy et Scratchy) et/ ou à d’autres éléments de la pop culture (Godzilla, Batman etc.). Le « game over » est ici symbolisé par le réveil, avec une note plus ou moins brillante à la clé. Le rêve a ici fonction de hub sur des niveaux très variés, manquant volontairement de cohérence entre eux, et donc parfaitement crédibles pour un univers onirique. On retrouvera ce principe de hub par exemple dans Super Mario 64, où le joueur entre dans des tableaux pour rejoindre différents niveaux, mais eux régis par les mêmes lois de la physique que dans le hall.

De la même façon, citons Le cauchemar des Schtroumpfs (Game Boy et Game Boy Color, 1997). Même principe : Gargamel a fait prisonnier les schtroumpfs de leurs cauchemars, seul le schtroumpf costaud peut les délivrer. Le rêve sert ici à faire entorse à la cohérence des règles de l’univers des êtres bleus.

En revanche, on retrouve un des héros les plus connus des jeux vidéo dans une aventure où le scénario est axé sur le rêve en lui-même, Zelda : Link’s Awakening (Game Boy, 1993, Switch, 2019): Link échoue sur l’île Cocolint, où il doit trouver le poisson rêve. Les indices laissent à penser que toute l’aventure n’est qu’un rêve du poisson (y compris les personnages ressemblants à d’autres), le héros serait donc lui-même un élément du rêve et non un rêveur, ce qui est scénaristiquement bien emmené. L’univers reste cohérent et, à la conclusion du périple, on peut penser que c’est sans doute Link qui était en train de rêver après son naufrage.

Zelda - Link's awakening
Zelda – Link’s awakening

Enfin, Alundra (Playstation, 1997). Dans ce jeu d’action aventure rappelant Zelda ou Secret of Mana, le joueur incarne le jeune Alundra, qui vogue vers un village, comme lui a indiqué un de ses rêves. Il échoue sur une île et se retrouve dans un village. Il se rend compte qu’il est capable d’entrer dans les cauchemars des gens pour aller les délivrer du mal qui les habite, c’est un « dreamwalker ». Les rêveurs, lorsqu’ils meurent dans leurs rêves, décèdent également dans la réalité. Certains rêves sont prémonitoires, et Alundra y voit donc le futur. Le rapport entre le monde des rêves et l’univers onirique est ici central, donnant ainsi au jeu une profondeur intéressante en entrant dans le psychisme des différents protagonistes.

Alundra
Alundra

Après ce premier aperçu de jeux anciens traitant du rêve, rendez-vous prochainement pour un second épisode où nous parlerons de jeux plus récents, entre autres de Catherine et Little Nightmare.

A lire :

Sigmund Freud – L’interprétation des rêves, PUF

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