Avec le Docteur Kawashima, Docteur Shichida, Cérébrale Académie etc. les années 2000 virent la popularisation de jeux vidéo d’entrainement cérébral, présentés comme des outils d’amélioration des performances cognitives. Ils reviennent aujourd’hui et, à la sortie du dernier opus du Dr Kawashima sur Switch, nous pouvons analyser ensemble ce phénomène afin de savoir si nous avons affaire avec de véritables outils ou un retour annoncé de simples divertissements au beau succès commercial ?
Table des matières
Le concept d’âge du cerveau
« Jaune, rouge, bleu, jaune … » Quelque part en 2006, le psychologue en l’âme que je suis entend sa collègue de travail parler seule dans son bureau, inquiet, je passe la tête par sa porte. En réalité, elle ne parle pas seule, c’est à sa Nintendo DS qu’elle s’adresse. « Elle s’exerce » sur programme d’entraînement cérébral du Dr Kawashima : quel âge a votre cerveau ? (ou Brain Age). C’est donc là, dans le bureau d’à côté et en 2006, qu’a donc pointé son nez sur nos consoles, avec la promesse de « … trouver[… ] dans ce logiciel une multitude d’exercices dont l’efficience à stimuler le cerveau aurait été démontrée. » Si le jeu à l’époque a été un succès, c’est qu’il rencontrait un nouveau public, des quadragénaires se mirent à jouer, parce qu’ils avaient lu dans des psychomachins magazines que la plasticité cérébrale s’amoindrissait avec l’âge. Le déclin cognitif : hors de question ! Et pour beaucoup le Dr Kawashima fut la solution !
Comme il me semble n’avoir jamais entendu le nom de Ryuta Kawashima dans mes cours de psychologie cognitive, une rapide recherche m’apprend qu’il est effectivement neuroscientifique japonais. Chose étonnante, on se rend compte rapidement que le niveau cognitif du cerveau est ici mesuré en âge, comme l’indique le titre du jeu, avec un résultat optimal fixé à 20 ans. Contrairement à l’affirmation du début de jeu, ce type de calcul bien qu’anciennement employé pour rendre compte de l’efficience intellectuelle (et oui c’est pour cela que l’on parle à tort de précocité encore aujourd’hui) a été depuis lors invalidé scientifiquement. L’âge du cerveau proposé ici est donc à considérer comme une simple unité de mesure sans référence à quelque réalité, tout comme le poids du cerveau proposé dans Cérébrale Académie sur Nintendo DS et Wii.
L’efficience cognitive se mesure habituellement en Quotient Intellectuel, le fameux QI. L’échelle la plus courante est l’échelle de Wechsler : la WPPSI-IV pour les enfants de moins de 7 ans, la WISC-V pour les enfants de 6 à 17 ans, et la WAIS-IV pour les adultes. Le test est étalonné par tranche d’âge et par pays, la moyenne est de 100, l’écart-type de 15. Détail important, le score maximum est de 160, donc garder en tête que les scores tels que, par exemple, le 197 du Walter O’Brien de la série Scorpion ne sont pas comparables, ayant été mesurés sur une autre échelle.
Des exercices cognitifs en jeux vidéo ?
Revenons à nos DS : le jeu propose des versions numériques de tests bien connus, dont le fameux test de Stroop : le participant doit nommer la couleur des lettres d’un mot sans lire le mot en question. Cet exercice interfère donc avec le processus automatisé de lecture qui doit être inhibé. Le jeu propose également d’autres jeux cognitifs qui travaillent effectivement certaines fonctions cognitives, dont le Trail Making Test. Cet exercice évalue les fonctions exécutives en demandant au participant de suivre avec le crayon des suites de chiffres et lettres de type A-1-B-2-C-3 etc. En s’entraînant quotidiennement à ces exercices, les résultats du joueur sont censés s’améliorer. Premier constat, beaucoup de ces « jeux » sont directement inspirés voire copiés de tests que nous autres psychologues utilisons pour l’évaluation cognitive.
Devant le succès commercial du jeu, sans doute favorisé par la présence de célébrités dans les publicités, une suite voit le jour en 2007, le Programme d’entraînement cérébral avancé du Dr Kawashima, avec quelques exercices de plus, et une meilleure reconnaissance de l’écriture. 10 ans plus tard, le fameux docteur revient sur 3DS. Plus question d’âge du cerveau, cet Infernal Programme d’entraînement cérébral du Dr Kawashima : Pouvez-vous rester concentré ? se focalise sur la concentration mise à mal par l’omniprésence des écrans dans notre vie quotidienne. Ironiquement, la solution pour améliorer cette concentration serait … l’écran de votre 3DS. C’est donc ici la mémoire de travail, initialement conceptualisé en 1974 par le psychologue Alan Baddeley, qui est au cœur de l’entrainement. Cette mémoire permet de garder temporairement des éléments en tête afin de pouvoir effectuer des opérations mentales sur les dits éléments : calculs mentaux, classifications, comparaisons etc. Les éléments pourront ensuite éventuellement être stockés de façon plus durable en mémoire à long terme. Le jeu propose donc des exercices pour travailler cette mémoire de travail et l’étendre.
Enfin, le dernier opus sur Switch reprend le concept d’âge du cerveau, des exercices des versions précédentes et quelques nouveautés, dont certaines relèvent parfois plus d’une démonstration des possibilités de la console que d’un véritable outil. Concrètement donc, il y a peu d’intérêt à posséder ce jeu si vous avez déjà les versions précédentes.
Véritables outils ou simples jeux ?
Comme nous disions précédemment, l’amélioration des habiletés visuo-spatiales observées dans certains jeux vidéo en général est limitée, ces habilités ne sont en réalité que très peu utilisables dans des tâches autres que le jeu en question [1] [2].
Alors concrètement, un jeu d’entrainement cérébral tel que l’entrainement du Dr. Kawashima permet-il réellement d’améliorer ses performances cognitives ? La réponse à cette question repose sur la plasticité cérébrale. Cette dernière se résume en la capacité du cerveau à renforcer ses connexions synaptiques, qui permettent la neurotransmission et la neurocapture des informations à mesure des expériences. On estime cette plasticité de qualité supérieure avant 12 ans et se dégradant par la suite. Attention c’est la plasticité qui se dégrade par la capacité de renforcer les connexions. Nous sommes d’ailleurs revenus sur ces données et il semblerait que toute notre existence la plasticité cérébrale reste possible mais dans des degrés très différents. Aussi en cas d’accident de vie, qu’elle soit traumatique ou psychique, ce type d’exercice peut avoir son importance et je verrais assez facilement l’outil à disposition dans des grands centres de rééducation qui traitent des patients ayant eu des AVC par exemple.
Certes, d’une manière générale, la pratique d’exercices cognitifs est primordiale pour garder son potentiel, d’ailleurs beaucoup de connexions se perdent depuis notre naissance, et ne pas le voir chuter trop vite, notamment dans le grand âge. Cependant, cela n’a pour vocation que de ralentir la chute, rarement d’améliorer les compétences cognitives. Nous savons par exemple que devant certains cas pathologiques l’entrainement du cerveau réduit l’évolution de la maladie, je pense aux patients présentant une maladie d’Alzheimer par exemple, à qui nous recommandons de garder une activité cérébrale. Or, souvent moins autonomes, ils ne peuvent généralement, après avoir désertés leurs clubs de bridge, que trouver ses activités sur leurs lieux de vie. Le Docteur permet alors de belles séances de remédiation à domicile, et ce de manière très facile d’accès.
Cependant, au regard des études sus citées, il semble que si vous devenez plus performant dans la reconnaissance de chiffres colorés sur un écran en 2 dimensions, cela n’améliorerait donc que cette compétence, et pas le fait de mieux discriminer des personnes ou objets en 3 dimensions lors d’un déplacement dans un lieu réel.
Par ailleurs, une étude[3] valide le fait que le jeu ne fonctionne pas mieux auprès d’enfants que n’importe quel autre exercice cognitif. Donc oui, vous pouvez jouer aux jeux du Docteur Kawashima, ce sera toujours mieux que de vous acharner sur Fortnite. Le jeu reste un outil comme un autre, tout comme les autres clones du même genre. Il a l’avantage de rester ludique et accessible, mais il est primordial de diversifier les sources d’entraînements, afin de bien entraîner tout type de connexions : mots croisés, sudoku, scrabbles entre amis… ou tout simplement la lecture d’un bon livre, ou d’autres articles de notre site !
[1] Anthony E. Richardson, Morgan E. Powers, Lauren G. Bousquet, Video game experience predicts virtual, but not real navigation performance, Computers in Human Behavior, Volume 27, Issue 1, 2011, Pages 552-560
[2] Are videogame training gains specific or general? Oei AC, Patterson MD.
[3] Sonia Lorant-Royer et al. « Programmes d’entraînement cérébral et performances cognitives : efficacité, motivation… ou « marketing » ? De la Gym-Cerveau au programme du Dr Kawashima… », Bulletin de psychologie 2008/6 (Numéro 498), p. 531-549.
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