Table des matières
Episode 1 : Approche du psychisme humain et du psychopathologique à travers le jeu vidéo.
Les troubles mentaux, du moins, ses représentations fantasmées par le grand public, sont souvent une source d’inspiration pour les artistes. Des films comme Black Swan, Fight Club, A la Folie pas du tout, American Psycho, Joker, pour ne citer qu’eux, nous montrent de façon spectaculaire une des facettes de la maladie mentale.
Le monde du jeu vidéo n’est pas en reste, ce que nous allons découvrir lors des différents épisodes de cette chronique. Mais avant de réfléchir à la représentation des troubles mentaux dans cet univers, ce premier volet sera l’occasion de faire le point sur les pathologies mentales et d’analyser ensemble les premiers exemples. Episode 1 l’approche du psychisme humain
Approches du psychisme humain
On peut penser la pathologie mentale selon deux approches. La première est l’approche par classification des troubles mentaux, celle du DSM-V (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) et de la CIM-11 (Classification Internationale des Maladies). Ces deux manuels recensent tous les troubles mentaux et les critères pour les diagnostiquer. Critiqués pour diverses raisons, on a notamment entendu parler récemment de l’entrée du « trouble du jeu vidéo » dans la CIM-11, dont nous avions déjà parlé dans notre article. A côté de ce trouble, on en retrouve d’autres tels que les troubles du spectre autistique, la bipolarité, la schizophrénie, les troubles anxieux, dépressifs, de la personnalité, les états traumatiques etc. Troubles que nous allons retrouver dans certains jeux que nous allons décrire dans cette chronique.
Une autre façon de penser les maladies mentales est l’approche structuraliste. Le psychisme humain pourrait être organisé selon plusieurs structures. Selon le référentiel théorique, on parlera de névrose, psychose et perversion (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Freud), ou de psychose, névrose et états-limites. La structure n’est pas à confondre avec le symptôme, tels que l’hallucination (dans la psychose) ou encore la phobie (plutôt névrotique).
De la naissance à l’âge adulte, le psychisme s’organise selon les interactions avec les parents, proches, les frustrations et événements de vie, la gestion du conflit œdipien, l’hérédité etc.
Quel que soit la structure définie, tant que le sujet a suffisamment de ressources pour gérer les épreuves, conflits ou traumatismes, l’individu continuera plus ou moins sereinement son existence. Donc, contrairement à l’idée reçue, un individu psychotique n’est pas délirant ou dans une autre réalité, c’est le rapport au corps, au langage et à l’autre qui est sensiblement différent, la différence avec le sujet dit névrosé est parfois invisible. En revanche, lorsque l’environnement dépasse les ressources du sujet, un rouage dans l’engrenage peut emmener à perdre la stabilité installée, c’est la décompensation psychique: dans la psychose décompensée, la réalité psychique vole en éclat, et le délire est une solution pour la maintenir intacte.
Spectaculaire, mais aussi rare, la décompensation ne signifie pas pour autant le passage à l’acte. Ces univers délirants peuvent donc être le cadre rêvé pour être un décor de jeux vidéo où les règles de la réalité peuvent se déformer sans crier gare.
Du côté de la névrose, le symptôme pourra aller des simples « psychopathologies de la vie quotidienne » (oui, toujours un ouvrage freudien) à des symptômes hystériques, traumatiques, phobiques, compulsifs etc.
La dépression d’Elude
Premier exemple avec Elude (2010, jouable sur navigateur), un serious game gratuit très court, au design proche de Limbo, entière métaphore du symptôme dépressif. Un jeune garçon monte d’arbres en arbres, aidés par des oiseaux. Le jeune retombe ensuite dans les limbes de sa dépression d’où il reste englué. Il remonte ensuite pour retomber de plus belle, en restant encore plus bloqué. Un dernier soubresaut avant de retomber réellement englué au fond de l’abysse.
Un jeu très court et très parlant pour mieux faire appréhender aux proches d’une personne souffrant de dépression la réalité de cette maladie.
Deuil, Stress Post-Traumatique, Sociopathie et thérapie dans Grand Theft Auto
Prenons maintenant l’exemple de la série des Grand Theft Auto (1997-2013) pour parler de quelques troubles. Série de jeux ayant sans doute fait couler le plus d’encre virtuelle au cours de ces quinze dernières années, GTA est connu pour son contenu défiant toute moralité, de la violence à la sexualité, en passant par les stupéfiants. Cependant, la représentation du psychisme humain commence à être pensée dès GTA : San Andreas (2004). Le jeu s’ouvre en effet sur un deuil : le protagoniste de l’histoire, Carl Johnson, CJ, commence l’aventure en perdant sa mère, problématique renvoyant à une des angoisses archaïques du jeune enfant. On retrouvera la question du deuil, ici pathologique car se résolvant par la vengeance, chez d’autres personnages comme Max Payne chez qui tout bascule après le meurtre de sa femme et son enfant, ou plus récemment chez Bayek d’Assassin’s Creed : Origins qui perd son fils au début du jeu.
Revenons à GTA avec GTA IV (2008). Le joueur campe Niko Bellic, originaire d’Europe de l’Est, traumatisé par la guerre en ex-yougoslavie. Lors de l’aventure, on apprendra que Niko est hanté par une scène de guerre où sa tante a été violée et assassinée. C’est ici la question de l’Etat de Stress Post-Traumatique (ESPT) qui est suggérée, même si le personnage semble avoir dépassé cet état par sa quête de vengeance.
Mais c’est avec GTA V qu’est évoqué un point rarement vu dans un jeu vidéo : la psychothérapie. Après l’introduction du jeu, on incarne Michael, ; quadragénaire père de famille, qui semble avoir sombré dans un état quasi léthargique qui envahit toute son existence, à laquelle il assiste comme un spectateur blasé, et non plus comme un acteur. Le jeu comprend alors des parodies de séances de psychothérapie, qui semblent être pour Michael le seul moment où il sort de la pulsion de mort qui semble régir sa vie pour tenter de renouer avec son désir. Rockstar semble avoir voulu caricaturer, avec le Dr Friedlander, les psychanalystes. Ainsi, il invite Michael à « dire ce qu’il a sur le cœur » alors qu’il vient de le faire, fait une scansion (arrêter la séance sur un mot signifiant) avant la fin de la phrase, propose explicitement ses diagnostiques, augmente ses tarifs et demande à être payé au noir, laisse dégénérer la thérapie familiale devant les enfants et explique à Michael que lorsqu’il se sent bien, c’est du déni.
Concluons cette partie avec Trevor, personnage complexe présentant beaucoup de traits psychopathologiques, dont certains semblent de prime abord incompatibles. Il semble parfois se comporter comme une version stéréotypée d’un psychotique. En revanche, on le voit avoir des comportements parfaitement opposé d’un point de vue psychique, notamment en défendant Tracey, la fille de Michael. Enfin, dans la scène de torture, on pourrait s’attendre à la jouissance du pervers, mais ce n’est pas non plus le cas. Le profil le plus proche pourrait donc être la personnalité antisociale ou sociopathe : comportements délictueux, manipulation, impulsivité, agressivité, prise de risque, incapacité à se responsabiliser et absence de remords. Le psychopathe lui, serait, à l’instar du pervers, beaucoup plus adapté socialement.
La Schizophrénie d”Eternal Darkness : Sanity’s Requiem”
Si Grand Theft Auto présente des symptômes plutôt névrotiques, ce n’est pas le cas d’Eternal Darkness (2002, Gamecube). Ce survival-horror, qui n’est pas sans rappeler Resident Evil ou l’univers de Lovecraft, place l’hallucination de type psychotique comme un des éléments de son gameplay. On y campe plusieurs personnages d’une même famille dans des époques éloignées, la principale étant Alexandra Roivas, qui découvre le corps de son grand-père, psychologue clinicien.
L’héroïne revit, grâce au livre des ténèbres, les souvenirs de ses aïeuls, mécanismes transgénérationnels évoquant Assassin’s Creed avant l’heure. L’hallucination auditive qui guide Pius, le premier personnage, nous donne le ton. Quelques temps après, la barre de santé mentale apparaît, en plus de la barre de vie et de magie. Lorsqu’un personnage croise un monstre, sa santé mentale diminue, et sa perception de la réalité commence à se déformer. On y rencontre hallucinations auditives (voix entendues, coups de téléphone), des visions morbides (du sang sur les murs, statues et tableaux qui bougent, des monstres en plus), kinesthésiques (démembrements, téléportations, enfoncement dans le sol), et même des hallucinations techniques (l’écran s’éteint, la manette se déconnecte, une fausse fin apparaît). La santé mentale remonte légèrement en achevant un ennemi.
Ce jeu intègre donc un élément à ce moment inédit dans le jeu vidéo, la perception, certes stéréotypée, de ce que peut être une hallucination en cas d’une décompensation psychotique. Certains patients témoignent en effet de sons allant du bruit difficilement identifiable à tes paroles claires, parfois jusqu’à des injonctions. Un enseignant en psychologie me racontait que, bien avant l’invention du Mp3 ou même du walkman, certains patients se promenaient en institution avec des postes collés aux oreilles faisant office de dompte-voix. Si certaines hallucinations sont domestiquées par certains patients, qui apprennent à vivre avec, elles peuvent souvent avoir une vocation terrorisante. C’est donc précisément dans ce but qu’elles sont utilisées dans le jeu, donnant une nouvelle dimension au côté horrifique du titre.
Nous retrouverons ce procédé dans d’autres jeux, que nous aborderons dans le prochain volet de cette chronique. En attendant, si vous avez des jeux à nous soumettre en analyse, n’hésitez pas !
Ping : Chronique : les troubles mentaux dans les jeux vidéo - épisode 3 - PSYCHE CLIC
Ping : Chronique : Les troubles mentaux dans le jeu vidéo - épisode 2 - PSYCHE CLIC