Interview de Jérémie Gallen, psy de la chaine YouTube « Va te faire suivre »

Après notre rencontre lors de son intervention au Psycolloque de Draguignan dans le Var, nous avons eu la chance d’interviewer le psychologue clinicien Jérémie Gallen, auteur de l’ouvrage « Sur le divan de mes patients » et de la chaine YouTube « Va te faire suivre ».

Présentation

Psycheclic : Bonjour, et merci d’avoir accepté notre interview. Peux-tu te présenter, et présenter ta chaine ?

Jérémie Gallen : Je suis psychologue clinicien, psychothérapeute et psychanalyste. Je suis, comme toi, diplômé de l’Université de Nice, et j’ai créé en 2015 la chaine YouTube « Va te faire suivre ».

PC : Pourquoi avoir créé une chaîne YouTube ? Dans le but d’apporter un savoir ? Une volonté de vulgarisation ?

JG : Ma chaine me permet d’une part de rester alerte sur les concepts, les choses qui changent, qui sont en mouvement, comment notre pratique évolue. Ça me permet de rester à la page, d’avoir une certaine rigueur dans mon travail, de ne pas me reposer sur mes lauriers. D’autre part, je cherche à rendre intelligible quelque chose qui est opaque.

Une vision psychanalytique

PC : Principalement une vision psychanalytique de la psychologie ? Alors que la psychanalyse est vivement critiquée depuis plusieurs années ?

JG : La psychanalyse est très décriée quand on ne la comprend pas. Quand des gens ne comprennent pas une discipline, ils vont avoir tendance soit à dire que ce n’est pas pour eux, soit à dire que c’est nul. J’essaye de faire comprendre que ça s’appuie sur une méthode scientifique réaliste, objective, que ça a du sens dans la pratique thérapeutique.

PC : Tu dis que la psychanalyse est une méthode scientifique objective ?

JG : Les théories psychanalytiques ne le sont pas, mais la méthode l’est. Ça peut se reproduire, se tester, se valider ou s’infirmer. Aujourd’hui c’est encore les français qui sont à la ramasse, nous en sommes encore sur le rapport Inserm de 2004, qui disait que la psychanalyse n’était pas à la hauteur des autres méthodes. Alors qu’aujourd’hui, il y a des dizaines d’études anglophones par an qui disent que la méthode analytique est utile, parfois plus que d’autres. En France, ceux qui veulent continuer de véhiculer l’idée que la psychanalyse ne sert à rien et n’est utilisée qu’en France font vraiment preuve de mauvaise foi. On voit que c’est pratiqué, utilisé et validé à l’étranger.

PC : C’est intéressant, d’autant que certaines chaines YouTube de vulgarisation scientifique cassent la psychanalyse, tout comme certains scientifiques et/ ou universitaires sur les réseaux sociaux notamment.

JG : Ces youtubeurs ne savent pas ce que c’est que d’avoir des patients en souffrance face à eux, ils ne sont pas psychologues. Tout comme Sophie Robert, réalisatrice d’un documentaire contre la psychanalyse, ce sont des gens qui regardent une pratique de l’extérieur et pensent avoir compris comment ça fonctionne. En général, les études sont dans des conditions standardisées : les chercheurs en psychologie ont à faire à des variables dépendantes et indépendantes qu’on peut ajouter ou enlever, chose qui ne se produit jamais au quotidien. Pour parler de clinique, c’est bien d’en parler avec des cliniciens.

PC : Effectivement, tu formules très clairement cette idée que j’avais en tête depuis un moment. Donc pour toi, ta chaine défendrait notamment l’approche psychanalytique contre des détracteurs mal informés ou de mauvaise foi ?

JG : Oui, parce qu’il y a aujourd’hui un marché de la critique. Celui qui sera le plus vu, le plus lu, c’est celui qui crache. Mais avant tout la chaine est quelque chose que je fais pour moi. On me demande parfois, notamment dans les commentaires, de faire des vidéos sur tel ou tel sujet. Il faut que j’en ai envie, que la question m’intéresse, sinon ça prendrait trop de temps si ça ne m’intéressait pas.

Jérémie Gallen
Jérémie Gallen

Psychanalyse et TCC

PC : tu parles aussi des Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC), du moins dans tes premières vidéos. Tu fais d’ailleurs un pont théorique entre la psychanalyse et les TCC ?

JG : oui, j’ai été formé jusqu’en Master 1 aux TCC, à la neuropsychologie et psychopharmacologie, c’était un enseignement très scientifique, objectif, quantitatif. Les TCC partent du principe que des outils peuvent être utilisés avec tout le monde, surtout sur l’aspect comportemental. Par exemple, une désensibilisation à des Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOC), tu vas le faire de la même façon pour tout le monde. Bien sûr, les apprentissages sont pareils dans les TCC (Skinner, Pavlov) et en psychanalyse (ex : l’Œdipe est la répétition d’un schéma appris) : l’être humain va reproduire des schémas qui ont fonctionné pour lui. Mais la méthode est très différente.

Quand tu es clinicien, l’enseignement scientifique ne te sert pas à grand-chose : l’imagerie médicale est utile pour le diagnostic différentiel, mais dans ton cabinet, tu es avec « ta b*te et ton couteau » (ndlr : il m’a autorisé à conserver l’expression telle qu’il l’a formulé 😊)

PC : tu as donc été « charmé » par le Master 2 niçois, plus analytique.

JG : oui, ce que j’ai regretté à Grenoble, c’est qu’on ne t’enseigne pas à travailler avec le discours de ton patient. Or, c’est le matériel numéro un. C’est par son discours que le patient nous exprime sa subjectivité, ses émotions, ses regrets etc. Quand l’université t’apprend les statistiques et à comprendre les échanges neuronaux, c’est très bien mais ça n’apprend pas du tout comment faire avec le discours de ton patient.

Psychanalyse et pop-culture

PC : Tes vidéos sont très souvent articulées avec des éléments de pop culture, comme nous aimons le faire également sur Psycheclic ? Pourquoi ce choix ?

JG : Quand j’étais gosse, les films étaient quasiment mon seul média culturel, avec la musique. Je regardais les films qu’on louait trois ou quatre fois avant qu’on ne les rende. La première compréhension était toujours vouée à s’affiner, se préciser, tout comme les relations avec les individus.

PC : Effectivement, j’ai toujours pensé que les films étaient un excellent exercice pour entendre ce qui est sous-jacent derrière un discours.

JG : Le manifeste et le latent oui. J’aime pouvoir nouer ce que j’apprenais à la fac avec des cas pratiques. Par exemple : le trouble borderline : je ne pourrais pas tout nommer de tête, mais si je pense à Anakin Skywalker (Star Wars), je pense à mes émotions et ça me permet d’avoir une meilleure mémoire. J’ai appris beaucoup de mes études comme ça.

Pulsion scopique et transfert

PC : On dit que Sigmund Freud aurait inventé le dispositif du divan pour ne plus être regardé toute la journée. Là, tu te donnes littéralement à voir dans tes vidéos ? Quel effet ça fait, ce rapport à la pulsion scopique (plaisir de regarder et d’être regardé, par le biais de l’objet regard) ?

JG : Voir, être vu et se faire voir : au départ, j’ai beaucoup caché la chaine, je ne voulais surtout pas que mes patients la voient, de peur de ce que ça allait jouer dans le transfert. Mais ça a dû se savoir dans ma ville, à partir de 2020 : une première interview dans le journal local, qui a fait que c’est passé du Dauphiné libéré à Konbini, Brut, le ministère de la santé, et tous mes patients étaient au courant à partir de ce moment-là, ça a aidé au transfert.

PC :  De quelle façon cela a pu aider au transfert (processus par lequel les sentiments et désirs inconscients sont reportés sur la personne du thérapeute) ? Ça a suscité des demandes de suivis ?

JG : Quand les gens veulent rencontrer un psychologue, ils ont souvent peur du psy qui ne parle pas, qui est froid et distant. Là, ils commençaient d’abord à me voir par l’intermédiaire de quelque chose de ludique, de vivant, ça faisait tomber une difficulté de passer à l’acte de vouloir consulter : le transfert s’établit déjà sur ce qu’ils voient ou lisent : lui, je comprends ce qu’il dit.

Je demande toujours comment les gens m’ont choisi. Aujourd’hui, des personnes me disent souvent qu’ils m’ont vu et que j’avais l’air sympa. Le cliché du psy d’orientation analytique leur fait peur, quelqu’un qui agirait comme un Sphinx, on peut faire autrement. Je ne me permets pas de le faire tout de suite, c’est après que je me tais. Ça joue aussi sur le transfert.

PC :  donc la chaine n’entraine uniquement que du transfert positif ?

JG : non, il y a parfois des personnes qui relèvent plus de la psychiatrie qui font appel à moi pour des consultations à distance, et comme le transfert peut être démesurément positif, ils se dirigent donc vers moi plutôt que vers un psychiatre.

PC : D’autres personnes ont des chaines psy : êtes-vous complémentaires ? en concurrence ? Vous avez des liens entre vous ?

JG :  Il y a une personne qui a une chaine de TCC, on s’était attaqué il y a quelques années sur les réseaux sociaux. Mais c’est un vrai clinicien, on se respectait sur beaucoup de choses malgré les désaccords mais je n’avais pas envie de continuer, on avait des désaccords théoriques, qui pouvait vus de l’extérieur apparaitre comme un conflit. D’autres qui ne sont pas des thérapeutes, eux je ne leur parle pas, ils ne pourraient pas comprendre.

Documentaire « A bon entendeur »

A bon entendeur
A bon entendeur

Q : Tu es notamment en lien avec Olivier Duris ? Vous travaillez ensemble ?

JG : Oui, il tient la chaine Psychocouac. Il y a aussi les chaines Psychorama et Psychotheque. Olivier et moi travaillons un peu ensemble sur nos chaines respectives, mais surtout le dernier projet, un documentaire sur la psychanalyse contemporaine qui s’appelle « A bon entendeur».

PC : J’ai effectivement pu le voir en direct sur YouTube pour sa première diffusion, un documentaire que j’ai apprécié, assez objectif alors que j’étais impacté dans ma pratique par les critiques envers l’approche analytique, notamment lues sur les réseaux sociaux. Qui le produit ?

JG : Il est produit par Brenos Films, mais coécrit, produit et réalisé par Olivier et moi. La chaine YouTube reprend les interviews intégrales, des capsules dérivées de tous les rushs. Il va ressortir sur la chaine en entier le 7 juillet. Il était dans un festival la semaine dernière, il doit passer dans des facs et au cinéma avant.

PC : Ce documentaire est une suite, un parallèle de ta chaine ?

JG : oui complètement, on a donné la parole à des gens dont on admire la clinique et le parcours, même si parfois on n’est pas d’accord. A l’inverse, le summum du foutage de gueule est le documentaire de Sophie Robert qui tronçonne du discours pour aller dans son sens. Elle a un discours de propagande, de vérité. Pour « A bon entendeur », toutes les interviews intégrales sont disponibles gratuitement, aucun propos n’est déformé, la personne n’est pas coupée.

Ouvrage « Sur le divan de mes patients »

PC : tu es également auteur d’un ouvrage intitulé « Sur le divan de mes patients » : pourquoi ce livre ? Une vulgarisation pour le grand public ? Quels retours as-tu eu ? Cela a eu un effet sur les demandes de consultation ?

JG : Ça n’a pas eu d’effet sur la consultation, il est sorti la semaine où la Russie a envahi l’Ukraine, donc en termes de communication c’était perdu d’avance. Je n’ai donc pas vu d’effet particulier, mais les retours des professionnels ainsi que des non professionnels sont très positifs. Les professionnels sont contents de voir que ça parle du concret d’une séance et des aléas de la rencontre, de comment on choppe le travail sous différentes formes. Pour les patients, ils prennent conscience que d’autres ont des problèmes similaires à eux et arrivent à trouver des solutions avec leurs psys.

PC : j’ai trouvé ça intéressant aussi, clair, bien vulgarisé.

JG : je dis les choses simplement parce que je ne sais pas les dire de façon universitaire (rires).

Sur le divan de mes patients - Jérémie Gallen
Sur le divan de mes patients – Jérémie Gallen

Projets et conclusion

PC :  Quels sont les projets futurs ? Pour la chaîne ? D’autres livres ? Autre chose ?

JG : Ce qui est sûr et certains, c’est que j’ai un nouveau livre sur la psychologie des vilains du cinéma qui arrivera dans quelques mois. Autre nouveauté, il va y avoir un podcast « Va te faire suivre », et d’autres livres encore, c’est ce qui m’éclate le plus, écrire sur ce qui m’intéresse. Je vais voir comment rendre un tas de concepts de psychologie et de bien-être que sous forme de métaphores.

PC : je te remercie pour ce bel échange, le mot de la fin ?

JG : Je suis intimement convaincu que 80 % des conflits entre les gens seraient évités si les gens faisaient un travail psychothérapeutique sur eux-mêmes. Donc si tu ne te sens pas bien et que tu n’oses pas aller voir un psy, va t’faire suivre !

A voir

Site de Jérémie Gallen

Chaine YouTube « Va te faire suivre »

Acheter « Sur le divan de mes patients ».

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