HPI, de la WAIS à TF1

HPI - TF1

La série à succès « HPI » revient sur TF1 pour une troisième saison. L’occasion d’en savoir plus sur le concept et sa représentation dans la pop culture.

HP, HPI, HQI, HPE, surdoués, équidés rayés etc. La Haute Potentialité Intellectuelle, on en entend parler un peu, beaucoup. En effet, depuis quelques temps, notamment grâce/ à cause de la sortie d’ouvrages de vulgarisation et de séries, le sujet semble à la mode. Les demandes de bilans et/ ou de thérapies adaptées sont fréquentes, tous comme les sujets de discussions, qu’ils soient sur Internet ou en librairie. Le surdoué serait ceci ou cela, et traînerait souvent moultes souffrances présentées comme inhérente à son don.

Un des derniers maillons de la chaine de vulgarisation, la série simplement intitulée « HPI » sur TF1, qui rajoute une nouvelle pierre à l’édifice de la confusion autour du concept.

HPI - TF1 - Bande annonce
HPI – TF1 – Bande annonce

Une autre façon de penser

Concrètement, la Haute Potentialité intellectuelle est une particularité cognitive, c’est-à-dire une façon de penser et de raisonner statistiquement atypique (par opposition au terme « neurotypique »). Les personnes présentant cette particularité partageraient certaines caractéristiques : une sensibilité sensorielle (aux stimuli telle que la lumière, le bruit, les odeurs, le toucher …) exacerbée, une gestion particulière des émotions qui les ferait réagir plus vite et plus intensément, un sentiment de décalage avec la majorité et une sur-adaptabilité pour la compenser, un traitement global et parfois automatisée de certaines tâches cognitives, un sentiment d’impatience permanente et, veut-on nous faire croire, une certaine souffrance.

J’ai utilisé le conditionnel parce que tous ces éléments ne sont, d’une part, pas si systématiques qu’on pourrait le penser et, d’autre part, pas validés scientifiquement. Et c’est là que la vulgarisation pose problème. Certains des ouvrages sur le sujet utilisent (volontairement ?) l’effet Barnum, qui désigne la propension de chacun à s’identifier personnellement à une description très générale. Plus le texte est général, plus il peut donc décrire de monde, et plus les gens s’en saisissent. C’est exactement sur ce principe que la plupart des horoscopes fonctionnent. Pour aller plus loin sur le sujet, je vous invite à voir les travaux du psychologue américain Bertram Forer

Par ailleurs, voici certains ouvrages que je conseille habituellement à mes patients sur la Haute Potentialité Intellectuelle, notamment celui de notre regrettée consœur Séverine Némesin.

Je pense trop - L'adulte surdoué - Haute Potentialité
Je pense trop – L’adulte surdoué – Haute Potentialité

Bilan cognitif

La Haute Potentialité Intellectuelle ne peut être identifiée que par la passation d’un bilan cognitif auprès d’un psychologue. Les tests de QI qui pullulent sur le web, dont certains s’inspirent parfois des vrais tests, ne sont donc en aucun cas valides. De la même façon, certaines personnes qui se reconnaissent dans les descriptions des particularités habituellement associée à la douance pensent s’« auto-diagnostiquer ». En dehors du fait que la Haute Potentialité n’est pas une maladie (et donc on ne la « diagnostique » pas), il arrive quelques fois que les personnes convaincues d’être HPI se voient désemparées lorsque les résultats du bilan ne le valident pas. Et pourtant, j’explique à ces patients qu’ils présentent parfois certains éléments propres aux « atypiques » au sens large du terme, et que ces atypiques ne sont pas nécessairement tous HPI.

Le bilan le plus utilisé en France est l’échelle de Wechsler, les chiffres qui suivent sont arrondis pour plus de lisibilité. Il en existe trois selon l’âge : la WPPSI (pour les enfants de 2 ans et demi à 7 ans), la WISC (de 6 ans à 17 ans) et la WAIS (de 16 ans à 79 ans)

En simplifiant, l’échelle est étalonnée sur la population du pays et par tranche d’âge, la moyenne est de 100, avec un écart type de 15. L’échelle est composée de plusieurs sous échelles mesurant différentes facettes de l’intelligence.

La haute potentialité se valide généralement à partir de 2 écarts-type, soit un QI global de 130 ou supérieur, représentant 2,2 % de la population globale. J’ai employé le terme « généralement » car des désaccords subsistent entre les professionnels.

Le Quotient Intellectuel Total (QIT) maximal possible avec les échelles de Wechsler est de 160. Donc, quand vous lisez quelques part des personnes présentant un QI de 186 ou 216, cela signifie, s’il n’y a pas d’erreur, que celui-ci a été évalué avec une autre échelle, par exemple l’échelle de Cattel. Le score doit donc être converti.

Echelles de Wechsler
Echelles de Wechsler

 

Dans les séries

Prenons l’exemple de la série Scorpion, débutée en 2014. Le personnage central, Walter O’Brien, présenterait un QI de 197. Pour le comparer aux QI obtenus avec l’échelle de Wechsler, il faudrait donc convertir ce chiffre, qui reste néanmoins élevé. Par ailleurs, le vrai O’Brien dont s’inspire la série n’a aucune preuve de sa passation, et n’aurait jamais été rebilanté.

Le problème se situe cependant dans le fait que les personnages de la série sont présentés comme réalisant des tâches, notamment en informatique, totalement hors normes. Certes, les personnes HPI sont, au sens statistique du terme, « hors norme ». Pourtant, tous ne sont pas capables de réaliser de telles prouesses sur le plan cognitif. Une jeune patiente me confiait qu’elle ne dit plus à ses camarades qu’elle a été identifiée HPI, car certains lui rétorquaient que si elle n’était pas capable de résoudre des opérations telles que 32541 x 25153 de tête en quelques secondes, c’est qu’elle mentait. Et non, très peu de personnes sur-efficientes ont de telles capacités, même si cela peut exister. Mais des séries comme Scorpion font la promotion de ce genre d’idées excessives pour les besoins de la série, et certaines personnes se questionnant sur leur fonctionnement rejettent d’emblée cette hypothèse parce que « je ne peux pas être HPI, je ne suis pas intelligent » (sous-entendu, comme les génies visibles dans les séries).

L’autre particularité de certaines séries ou films est de présenter des personnages présentant simultanément un HPI et un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) (par exemple, The Big Bang Theory ou Good Doctor). Les deux particularités peuvent tout à fait être concomitantes, mais il est important de pouvoir dissocier les caractéristiques des deux spécificités.

 

HPI, de la dame du lac à Morgane

La série HPI, débutée en 2021, n’est censé quant à elle ne parler que de HPI. Enfin, elle essaye. L’héroïne, Morgane Alvaro, campée par Audrey Fleurot qu’on avait vu notamment dans Kaamelott, est une femme de ménage qui devient consultante pour la police. Elle est présentée comme ayant un QI de 160. Soit le maximum théorique qui, si je consulte le manuel d’administration et de cotation de la WAIS, est supérieur à celui de plus de 99,9% de la population. Un QI de, que sais-je ? 145 ou 152 eut été crédible mais non, il a fallu que TF1 fasse dans la surenchère. Et de ce point de vue, la série fait effectivement fort.

On a ici le duo classique d’une histoire classique, un personnage sérieux et le side-kick/ acolyte drôle, place occupée par Morgane. On retrouve également le schéma d’un ou une civile qui assiste un officier de police dans ses enquêtes, comme dans le film Taxi (1998) ou encore la série Castle (2009-2016).

HPI - TF1 - Bande annonce
HPI – TF1 – Bande annonce

Le problème qui saute aux yeux dans cette série, c’est l’écart phénoménal entre le personnage joué à l’écran et l’efficience intellectuelle annoncée. Certes, les personnes présentant un Haut Potentiel sont différentes, malgré les éventuelles spécificités mentionnées plus haut qu’on pourrait leur accoler. Si certaines personnes concernées peuvent effectivement apparaître socialement légèrement décalées, ce qui est le cas du personnage de Morgane, celle-ci transpire d’immaturité (« elle se comporte comme un enfant de 5 ans » explique son interprète), de sottise et de vulgarité. L’actrice expliqua lors de la première saison qu’elle s’était entretenue avec quelques personnes présentant cette spécificité pour penser son rôle. Effectivement, on retrouve quelques éléments reconnaissables mais qui, posés en vrac sur un personnage limite contraire à ce qu’habituellement observé, donne un spectacle totalement dissonant.

Prenons à titre d’exemple le premier épisode de cette troisième saison qui vient d’être diffusée. Morgane se lance dans une joute verbale contre la personne qui l’emploie, uniquement centrée sur sa consommation d’alcool. Une personne présentant un QI Total de 160 est censée avoir un Indice de Compréhension Verbal (ICV) maximal ou presque. Elle devrait donc avoir un stock lexical phénoménal, et une capacité de récupération, d’organisation et de verbalisation qui lui permettrait en théorie un échange verbal à faire pâlir Cyrano de Bergerac. Mais non, l’échange est d’une platitude qui n’a d’égal que l’absurdité de la scène. Alors certes, le principe d’un potentiel intellectuel est qu’il est … potentiel oui. Et qu’il peut être plus difficilement mobilisable en cas de débordement émotionnel, comme c’est le cas lors d’une dispute, ou si la personne présente en parallèle un trouble relatif au langage.

Ceci étant dit, si on omet le mauvais gout qui aurait tendance à abîmer la rétine, on a quand même quelques éléments crédibles. Avec un tel profil, son excellente capacité de mémorisation et de récupération lui permet de retrouver et verbaliser de nombreuses informations culturelles (dans cet épisode, les mots croisés et l’astronomie). Par ailleurs, elle possède également un Indice de Raisonnement Perceptif (IRP) vertigineux, qui lui permet de raisonner et d’organiser à partir du matériel perceptif, notamment visuel, de façon hors norme. C’est cette sur-efficience, alliée à un raisonnement fluide (logico-mathématique) hors du commun, qui lui donne la capacité de visualiser et d’analyser les éléments pertinents, puis d’en faire une déduction.

De la même façon, la fin de la saison 2 conclut sur une Morgane cette fois touchante qui demande « qui pourrait m’aimer ? ». Ce genre d’interrogation a été maintes fois entendues dans la bouche de personnes atypiques (au sens large) qui désespèrent parfois d’être aimées avec leurs spécificités par des neurotypiques.

HPI - TF1 - Bande annonce
HPI – TF1 – Bande annonce

« HPI » aurait donc pu être une série intéressante sur la Haute Potentialité si elle n’avait pas fait dans l’exagération et la facilité de tomber dans le populaire. Elle rejoint donc le rang des objets culturels qui viendront dévoyer le concept, rendant plus difficile pour les personnes réellement concernées de s’y reconnaitre. Mais rien d’étonnant, la chaine n’est pas connue pour son désir de promouvoir la culture mais, comme le disait Patrick le Lay en 2004, pour « vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola ». Et la recette fonctionne apparemment toujours, puisque la série est un succès en terme d’audience.

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