Le plombier le plus connu de l’univers du jeu vidéo arrive sur nos écrans cette semaine avec le film d’animation Super Mario Bros, réalisé par Illumination et Nintendo. La bande annonce laissait entrevoir beaucoup de fan-service, et c’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Voyons cela dans le détail.
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Jeux vidéo, cinéma et récit.
Dire que jeux vidéo et cinéma n’ont pas toujours fait bon ménage est un lieu commun. En effet, une génération entière de gamers se moque toujours des adaptations qu’on nous a servi dans notre adolescence des années 90. Ainsi, les natifs des années 80 dont je fais partie avons enchainé coup sur coup un Super Mario Bros (1993) étrange et assez éloigné du jeu original, un Street Fighter (1994) nanardesque avec une bonne moitié de personnages ratés, un Mortal Kombat (1995) où l’enchainement de combats n’était sauvé que par le rire de Christophe Lambert, un Resident Evil (2002) finalement au même niveau qu’un tas de films de zombies, et plus récemment Sonic (2020) et sa suite.
La liste est tellement longue que nous arrêterons là, mentionnons cependant quelques exceptions, notamment avec les excellentes séries récentes comme The Witcher (2019) ou The last of us (2023).
Pourtant, les jeux vidéo sont des récits même à minima, à l’instar de n’importe quel autre média, lecture, cinéma, musique, danse etc… Ces récits pourraient, de prime abord, être facilement adaptables sur un autre médium ?
Un récit, tout comme les contes de fées traditionnels, peut être lu sous le prisme d’une interprétation analytique. Le psychanalyste Bruno Bettelheim a décrit en 1976 dans son célèbre Psychanalyse des contes de fées des schémas archaïques qui régissent la plupart des contes de fées occidentaux, qui pourront être retrouvés dans certains jeux. Prenons l’exemple des jeux Mario. Dans la plupart des jeux de plate-forme de la série, tout comme dans les films, le roi Bowser et son armée de koopas envahissent le royaume champignon, et Bowser kidnappe la princesse Peach. Mario, simple plombier, débarque dans ce monde inconnu via un tuyau et entreprend de sauver la princesse.
Nous avons donc ici à faire à une triangulation entre Bowser, Peach, et Mario, rappelant le triangle œdipien. Mario, comme beaucoup de héros de récit, représente la figure adolescente, ici masculine, qui doit symboliquement tuer le père tyrannique tout puissant (ici Bowser) qui barre l’accès à la mère désirée (ici Peach). Comme dans le complexe d’Œdipe, l’accès à la mère restera interdit. Ainsi, les Toad scandent sans cesse que « la princesse est dans un château », tel une instance surmoïque (le surmoi étant chez Sigmund Freud l’instance qui agit sur le moi comme moyen de régulation contre les pulsions) qui martèlent l’interdit incestuel. Et même quand Mario délivre la princesse, aucune relation amoureuse n’est explicitement montrée.
Enfin, rajoutons que Shigeru Miyamoto, son concepteur, aurait ajouté des éléments de contes occidentaux à son récit, tels que le champignon d’Alice au Pays des Merveilles de Lewis Caroll pour grandir, ou le haricot de Jack et le haricot magique pour aller plus haut.
Question de gameplay
Cependant, cette lecture analytique, hypothèse de ce qui parle inconsciemment aux joueurs, doit être prise avec recul. En effet, au-delà du récit, les choix scénaristiques dans les jeux vidéo sont parfois des choix de gameplay. Par exemple, Mario est un plombier à moustache et casquette parce que c’est un personnage stéréotypé à connotation sympathique ? Et bien non, son apparence fut décidée pour des raisons techniques. Les pixels étaient à l’époque énormes, il ne pouvait de ce fait n’y avoir aucun détail : ainsi, les bras étaient d’une autre couleur que le corps pour les différencier, ce fut donc une salopette. La bouche était symbolisée par les moustaches, et comme le fond était aussi noir que ses cheveux, les concepteurs l’affublèrent par conséquent d’une casquette.
Nous pouvons aller plus loin en citant, le youtuber Karim Debbache qui pousse l’analyse en proposant le fait que tous les choix des éléments composant le récit de Super Mario Bros (champignons, tortues, tuyaux…) sont en réalité pensés d’abord en termes de gameplay : les champignons ont des formes de bumpers qui incitent à sauter dessus, Mario est plombier car il est intuitif de rentrer dans les tuyaux etc…
De demoiselle en détresse à femme forte
Au-delà de ces dimensions de gameplay et considérations techniques, le récit est néanmoins présent pour le joueur. Les contes traditionnels plaçaient souvent la femme en position d’objet fragile ou passive, la demoiselle en détresse en étant la plus grande caricature. Ce positionnement était le reflet de la place qu’une majorité de femmes occupaient dans nos sociétés anciennes. Or la place de la femme dans notre monde moderne a, heureusement, nettement évolué ces dernières décennies, et donc les récits de la pop culture également, cinéma et jeux vidéo compris. On a ainsi assisté à l’émergence dans le jeu vidéo d’icônes de femmes fortes et autonomes, comme Chun-Li (Street Fighter) ou Lara Croft (Tomb Raider). Ces femmes des années 90 étaient cependant encore assez sexualisées. En parallèle, les princesses passives telles que Peach et Zelda ont commencé à prendre leurs autonomies et à avoir de moins en moins besoin d’être secourues.
On a aujourd’hui beaucoup plus de personnages féminins forts, autonomes et présentant moins de stéréotypes de genre, comme par exemple Maxine (Life is Strange), Faith (Mirror’s Edge), ou encore Kassandra et Evior (Assassin’s Creed).
Et c’est typiquement cette version moderne de la femme qui est montrée dans ce nouveau Super Mario Bros. Ici, Peach est une femme forte, ayant confiance en elle, la leader de son groupe, flanquée d’un Mario un peu gauche et perdu dans ce monde. Seule la robe rose rappelle sa position initiale. La personne à secourir est cette fois un homme, Luigi.
La triangulation œdipienne du récit des Mario originaux est donc complètement abandonnée au profit d’un autre schéma. Reprenant le centre de l’intrigue du jeu Super Mario Odyssey, Bowser se met en tête d’épouser la princesse, et montre des signes de jalousie envers le plombier qui sympathise progressivement avec la princesse. On a donc ici une rivalité entre deux frères ennemis, Mario et Bowser, qui luttent pour l’amour de la mère symbolique, Peach. Je ne spoilerai pas le film mais, rappelons qu’à la fin de Super Mario Odyssey, Peach refuse les demandes en mariage des deux prétendants pour partir seule, incarnant une nouvelle fois la femme moderne qui est une personne ayant sa propre volonté, et non un objet du désir d’un autre.
L’autre dimension plus inattendue est le fait que Mario incarne ici la figure de l’adolescent. Malgré le fait qu’il semble adulte car il travaille, il vit chez ses parents et est en quête de la reconnaissance paternelle qu’il obtiendra à la fin de l’aventure. Ce cheminement n’est pas sans rappeler le monomythe du Héros aux mille et un visages du mythologue américain Joseph Campbell écrit en 1949. Nous avons déjà détaillé le monomythe dans notre article sur Star Wars que je vous invite à (re)découvrir.
Fan service omniprésent
Après cette lecture des enjeux du film, qu’en est-il de la forme ? Si on a pu reprocher au film joué par des acteurs de 1993 d’être trop éloigné du support original, ici c’est l’inverse. Complètement. Totalement. Trop. Vraiment trop. Le film semble être une publicité d’une heure trente-deux, certes visuellement très jolie, pour tout ce qui a un rapport avec la licence.
D’une part une publicité actuelle, pour séduire les enfants présents dans la salle et les encourager à acheter les jeux de la licence qu’ils n’ont pas encore, avec publicités dans le cinéma et dans les bandes annonces, naturellement.
D’autre part pour les parents qui les accompagnent, avec un énorme fan-service assumé pour les jeux d’époque et les années 80 en général. On entend notamment la chanson « Holding out for a hero » également présente dans le film Tetris sorti une semaine plus tôt. Soyons honnête, je suis fan des clins d’œil et autres « easter eggs » relatifs aux licences de mon enfance, mais là ce ne sont plus de simples clins d’œil, c’est partout, à chaque seconde, à chaque coin de l’écran. De la pizzeria Punch-Out, à la musique du générique de la série animée, à Spike de Wrecking Crew, à la Nes et ses cartouches, à Donkey Kong et ses barils, ou encore à toutes les musiques originales disséminées un peu partout. Et ça, c’est juste pour le rétrogaming !
A défaut d’une histoire travaillée, les scénaristes ont trouvé le moyen de coller des éléments de tous les jeux de plateforme Mario de l’ère 8 et 16 bits, ainsi que de Mario 64, Galaxy, New, 3d World, Odyssey, Mario Kart 8, Captain Toad, Luigi’s Mansion, et je suis certain d’en avoir raté quelques-uns.
Forcément, autant de contenu sur un film si court, c’est surchargé, c’est brouillon, et ça frise parfois le grotesque. La suspension consentie de l’incrédulité est le principe qui fait qu’on accepte temporairement les règles d’un univers (film, jeux, romans) sans critiquer le fait qu’elles ne soient pas crédibles (pouvoirs, gravité etc.) Cela fonctionne à condition que l’œuvre reste cohérente avec les règles édictées en amont. Je suis d’accord pour voir un film avec des personnages-champignons qui parlent et d’autres champignons qui font grandir. Mais arrêtons nous un moment, par exemple, sur la scène d’entrainement et les power-up, où Mario réalise un parcours en utilisant un bonus. Naturellement, les joueurs avaient envie de retrouver ces éléments dans un film d’animation, mais avoir un parcours flottant dans les airs littéralement calqué sur un niveau de jeu vidéo dans un film, on ne peut que trouver ça difficilement crédible, même dans cet univers.
Au final, j’ai malgré tout passé un bon moment à reconnaitre les dizaines de références, à essayer d’ignorer les scènes absurdes comme la plomberie du début et la chanson au piano, qui ont cependant peut-être fait rire les plus jeunes. Mais force est de constater qu’un film un peu plus construit, qui ressemble davantage à une œuvre cinématographique qu’à un niveau de Mario Maker trop chargé eut sans doute été possible.
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