Barbie, jouet culte, féminisme et publicité.

Psycheclic X Barbie

Un film dont le personnage central est une poupée Barbie. Etrange concept, mais ma curiosité intellectuelle m’a poussée à voir ce que la rencontre entre le monde du consumérisme d’un jouet devenu icone et celui du septième art pouvait donner.

En plus d’être un des jouets les plus connus au monde, Barbie est devenue un objet culturel : elle a été peinte par Andy Warhol, habillée par des créateurs de mode, chantée par Lio et Aqua, etc. Le nom même de Barbie est devenu un qualificatif péjoratif : une Barbie désigne ainsi parfois une personne superficielle, obsédée par son apparence et pas spécialement vive d’esprit. Chose que Mattel s’efforce d’essayer de déconstruire en faisant preuve d’une certaine autodérision dans le film de Greta Gerwig.

Barbie, par Andy Warhol
Barbie, par Andy Warhol

 

Le jeu dans le développement de l’enfant.

Mais avant d’être un personnage de film, la poupée est un jouet. Le jeu a toujours été présent chez l’Homme, sa place en tant qu’élément primordial dans le développement psychique de l’enfant est aujourd’hui connu et reconnu. Il est par ailleurs un des piliers sur lesquels les thérapies d’enfants peuvent s’appuyer, la verbalisation n’étant pas forcément suffisamment aboutie pour nommer et symboliser les différentes problématiques psychiques.

Même si Sigmund Freud évoquait déjà le célèbre jeu de la bobine, une des premières théorisations du jeu dans le psychisme nous vient du pédopsychiatre et psychanalyste britannique Donald Winnicott. Dans son ouvrage « Jeu et réalité », Winnicott introduit le concept d’objet transitionnel, permettant à l’enfant de symboliser la mère pendant son absence. Le jouet est ainsi un objet projectif et de symbolisation primordial à sa construction psychique.

Winnicott utilise une distinction, qui n’existe qu’en anglais, entre le « game » qui est l’aspect organisé du jeu (comportant des règles bien définies pour remporter la victoire) et le « play », qui est le fait même de jouer, le jeu libre et spontané. L’enfant joue (« play ») très rapidement avec son propre corps, des objets, puis des jouets, en créant et imaginant des situations, des contextes, des histoires, seul ou dans des relations interindividuelles ou groupales. Il est souvent intéressant d’observer un ou des enfants jouer (« play ») à des jeux libres , pour voir la richesse de ce qui peut être projeté et symbolisé sur la toile qu’est le jouet. Il rencontrera un peu plus tard des « games » structurés : par exemple jeux de société, sports, jeux vidéo.

Les poupées Barbie font partie de la première catégorie. L’enfant dispose d’une ou plusieurs poupées, de vêtements et autres accessoires, et est libre d’en faire ce qu’il désire.

Si la poupée Barbie permet, comme beaucoup d’autres jouets, de mettre en scène des mouvements psychiques, elle a, comme tout objet culturel, une influence sur l’enfant joueur.

 

Influence de la culture.

Le film nous montre en effet, et cela semble confirmé par le reportage « Et Dieu créa Barbie » (disponible jusqu’au 5 septembre 2023), que les premières poupées avant l’arrivée de Barbie étaient souvent des poupons. Ainsi, la société américaine distillait aux petites filles le message que leurs futures places dans la première partie du 20ème siècle étaient celles de mères. Car en effet, les objets culturels ont, aux côtés des valeurs parentales, un poids considérable dans les représentations et valeurs que les enfants intègrent. Ce sont parfois ces injonctions familiales et sociétales que nous déconstruisons en thérapie, afin que les patients puissent suivre leurs désirs et ainsi réduire leurs symptômes et leur souffrance.

Et en 1959, Ruth Handler créa Barbie : les jeunes américaines pouvaient symboliquement incarner des femmes adultes. Cette arrivée sur le marché est d’ailleurs mise en scène dans le film par une parodie assez juste de « 2001, l’odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick.

Le film se poursuit en développant l’idée que le monde de Barbie est centré sur la femme, et que les Barbies et Kens pensent qu’il en va de même pour le monde des humains, ignorant encore le fait que l’égalité hommes/ femmes est loin d’être acquise dans notre réalité. Les premières minutes sont complètement décalées, le spectateur assiste, médusé ou amusé, à des scènes où des acteurs humains imitent des poupées … qui imitent elles-mêmes des humains. D’un point de vue cinématographique, le décalage frappe juste, le film ne se prend pas du tout au sérieux. Mais c’est néanmoins là que nous saute de nouveaux aux yeux la réalité de l’univers de ce jouet de plastique : d’une part le consumérisme, et d’autre part une image d’une société complètement normée et stéréotypée.

Barbie - bande annonce du film
Barbie – bande annonce du film

 

Consumérisme et capitaliste.

Car depuis sa sortie en 1959, Barbie est une figure du consumérisme, symbole de la société de consommation américaine : Barbie est une fashion victime car, pour que les jeunes filles puissent habiller et déshabiller l’objet de plastique, celle-ci doit avoir une garde-robe conséquente, et qui se réactualise régulièrement. La définition même de ce qu’est la mode, avec son discours illusoire qui tente de faire croire aux consommateurs qu’un nouveau vêtement viendra rendre le corps plus désirable et phallique, comme on le dit en psychanalyse, que le précédent.

Comme le disait le politologue Clément Viktorovitch « le vêtement permet de produire un discours sur soi-même». Certes, il parlait du domaine politique, mais on peut exporter cette idée à tout le lien social. Sauf que la mode est indissociable de l’idée d’obsolescence : « ce n’est plus à la mode ». Naturellement, ce modèle façonne des consommateurs et va, par ailleurs, à l’encontre du discours écologique actuel de diminution de la consommation, ce qui a entre autres été reproché au film Barbie.

 

Stéréotype, image et injonction.

Ce qui nous amène au deuxième point : la poupée Barbie et par extension le film éponyme nous renvoie à une société complètement stéréotypée. Car le monde de Barbie est, en plus d’être consumériste, un monde centré sur la beauté et l’apparence. Barbie a un corps parfait, impossible à avoir pour un humain, une beauté complètement inaccessible : celle que la psychanalyse nommait LA femme. Malgré le fait que ce soit une femme qui lui ait donné naissance, elle reste le produit d’hommes du marketing, produit d’un fantasme collectif, un archétype de la femme inspiré entre autres des icones de l’époque comme Jayne Mansfield ou Marylin Monroe.

Or, ces images ont un impact majeur sur le développement psychique : en proposant un modèle unique standardisé et inaccessible de la beauté, la comparaison avec le corps normal est forcément décevant. Cette critique est d’ailleurs intégrée dans le film via le discours de l’adolescente Sacha.

La conséquence de cette dissonance entre l’image parfaite et le corps réel est une souffrance parfois profonde, que certaines personnes choisissent de réduire en maltraitant le propre corps : régimes draconiens, sport intensif, voire chirurgie esthétique. La souffrance liée à l’image du corps est par ailleurs un sujet fréquent mis au travail en thérapie, car ces injonctions inaccessibles ne sont naturellement pas dû qu’à la poupée de Mattel.

C’est en effet toute l’industrie de l’image en général qui va dans le même sens. Ainsi, les natifs des années 80 dont je fais partie ont, par exemple, eu l’injonction qu’un homme doit avoir les biceps de Stallone ou Schwarzenegger pour sauver des demoiselles en détresse. Heureusement, les stéréotypes de genre ont énormément évolué depuis, mais force est de constater que les couvertures de magazines où les stories Instagram sont encore trop souvent d’une perfection retouchée irréaliste.

Naturellement, face à ces critiques, Mattel a revu sa copie en 2016 en créant un tas de nouvelles Barbie avec des morphologies, couleurs de peau et de cheveux variées, évidemment bien mises en avant dans le film. De même, Barbie exerce de nombreux métiers, ce qui influence sans doute efficacement l’idée qu’aucun métier n’est masculin ou féminin, même si ce discours devra encore perdurer longtemps avant d’arriver à une société plus égalitaire. Et pourtant, si je prononce le nom de Barbie, la plupart des gens auront la version « stéréotypée » en tête, volontairement nommée ainsi dans le film.

 

Genre et choix de vie

Malgré cela, il semble manifeste que les autres stéréotypes sont toujours là dans ce monde rose bonbon. En premier lieu, toutes les Barbies sont relativement jeunes. Encore une fois, l’idée que beauté et avancée en âge ne font pas bon ménage n’est pas le monopole de Mattel, il est le triste reflet d’une idéologie sociétale qui a encore du mal à se décaler. Par ailleurs, il n’y a toujours que deux genres à Barbieland, toutes les autres subjectivités sont niées tant dans le jouet que dans le film.

Mais pire que ça, les différences de genre étant en grande partie une création sociétale, le film ne fait pourtant que les renforcer. En effet, après la scène d’introduction, Barbie et Ken arrivent dans le monde réel. L’idée de personnages de fiction qui se retrouvent avec un certain décalage dans notre monde a déjà été vue, je pense par exemple à La Rose pourpre du Caire de Woody Allen ou Last Action Hero de John McTiernan. Cela donne généralement lieu à des situations comiques bien qu’assez prévisibles.

Barbie - bande annonce du film
Barbie – bande annonce du film

Sauf qu’ici, le personnage de Ken intègre tous les codes du patriarcat et revendique le pouvoir. Au premier degré, Ken est un idiot, il se comporte comme tel, le ressort comique du film est cohérent. Une autre lecture serait de dire que les hommes sont fondamentalement mauvais et veulent, de par leur nature même, dominer les femmes. Ce qui serait donc un discours misandre, sexiste. Un autre angle de vue serait de dire que, malgré la résolution finale du scénario, les hommes et les femmes sont fondamentalement différents, et qu’aucune entente réelle ne serait possible, alors que le film aurait clairement pu ouvrir sur une moindre place pour ces différences.

Enfin, Barbie, aussi indépendante qu’elle puisse être montrée, ne peut être chez Mattel qu’une femme hétérosexuelle en couple avec un homme. L’éventualité qu’elle puisse être célibataire, homosexuelle ou ayant une vie intime plus libre et ouverte n’est strictement jamais évoquée.

 

Conclusion.

Alors non, je pense que le film Barbie n’est pas féministe. Le féminisme est une idéologie préconisant l’égalité entre les genres. Or, ce film est un long métrage publicitaire, ce que j’avais ressenti dans une moindre mesure pour le film Super Mario Bros. Le film est d’ailleurs d’ores et déjà un succès commercial, la reprise de la chanson d’Aqua est partout à la radio, et la « Barbie bizarre » du film va sortir en jouet.

En tant que long métrage, le film Barbie n’est pas déplaisant : Margot Robbie et Ryan Gosling ne se prennent pas aux sérieux, les décors et couleurs sont volontairement grotesques, les situations toutes stéréotypées font parfois sourire. Mais il vient appuyer sur des clichés encore trop présents dans notre société, et qui ont un impact délétère sur les individus.

Enfin, je viens de revoir récemment le film Demolition Man de Marco Brambilla. Dans un futur dystopique, tout est interdit : la musique est également un art interdit sauf une seule forme : les chansons publicitaires. J’espère simplement que le 7ème art ne suivra pas cette pente imaginaire et que, dans un futur proche, nous continuerons à voir de vrais films qui ne servent pas qu’à vendre des produits dès la sortie de la salle.

Barbie - affiche du film
Barbie – affiche du film

 

Pour aller plus loin.

Winnicott, D.W., 1975. Jeu et réalité – L’espace potentiel, Folio Essais.

Et Dieu créa Barbie – Arte – 2023

Usbek & Rika : Barbie : la publicité a eu raison du cinéma, et du féminisme.

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