Voilà presque trois semaines que nous sommes confinés et de toute évidence nous en avons encore pour un moment. Certains sont seuls, d’autres en famille, et nous avons trouvé un grand nombre de solutions numériques. – même si certains cherchent encore – pour rendre cette triste période, plus que supportable, vivable au sens littéral du terme.
Nous avons déployé des moyens, nous les sommes appropriés ces outils. Nous avons trouvé de quoi nous occuper d’abord, entre visites virtuelles et concerts privés en ligne et là j’ai une petite pensée émue pour Jean-Louis Aubert qui me ravie ou pour d’autres, illustres inconnus et musiciens du balcon comme Fab’ et Marie dont nous vous parlerons très prochainement. Mais la situation nous a fait revisiter de biens d’autres utilisations de l’outil numérique et de nos écrans : le « rester en contact », la pédagogie avec le succès mitigé qu’on lui connait, la santé avec l’augmentation des visio-consultations. 1 millions en mars nous dit Doctolib.fr ! Même notre rapport au travail a changé, là où certaines entreprises se montraient très frileuses il y a quelques semaines pendant les grèves. Ce serait aujourd’hui 40% de notre économie qui continuerait de fonctionner et de s’appuyer sur ces systèmes des temps modernes… Nous progressons sur la technique donc, et les outils nous deviennent de plus en plus familiers.
Table des matières
De Moi à Soi : la question du Moi-Peau
Prendre des nouvelles de l’Autre, apéro en visio, petite vidéo du petit dernier partagé sur les réseaux sociaux et détresse de la grande sœur sur TikTok… Nous réapprenons aussi les relations humaines à travers le numérique. Le confinement nous rapproche, il nous fait entendre ce que l’Autre vit, a à nous dire et à partager, et si j’attends encore qu’un prétendant se déclare numériquement, on ne va pas se mentir ce qui nous semble aussi nous faire défaut c’est l’absence de contacts physiques. Il me tarde comme tout un chacun de pouvoir descendre dans la rue, et de prendre quelqu’un dans mes bras, rien que pour le plaisir de toucher, de rentrer en contact avec ce moi-peau qui est aussi celui que l’Autre a à redécouvrir.
Pour faire simple, le moi-peau est un concept introduit par un certain Anzieu, ah oui je sais encore un psychanalyste ! Il nous explique comment avant même la naissance, nous conscientisons notre corps à travers notre distanciation de celui de notre mère. Pendant la grossesse nous sommes nourris par un autre corps qui nous contient, après le traumatisme de la naissance le monde devient plus insécure puisque nous existons en tant qu’individu et que nous devons subvenir à nos besoins vitaux, souvent en les faisant entendre, parfois très très fort. Cela n’empêche pas de continuer les interactions avec le corps de la mère, en preuve ce moment de (re)connexion (que nous retraduisons par le numérique aujourd’hui) lors de l’allaitement et par les bons soins que l’autre va nous apporter à travers aussi le toucher.
Comme les structures psychiques sont en constante élaboration et qui plus est lors de l’enfance, le toucher, ce contact à l’Autre va permettre de délimiter mon psyché mais aussi mon Moi, au sens freudien du terme. Pour faire encore plus simple, nous dirons que l’une des fonctions de ce Moi-Peau et donc de la peau est de me faire me rappeler que je suis un être individuel, muni d’une enveloppe corporelle qui véhicule ce que je suis et qui donne une consistance à mon existence à travers ce que je ressens.
Toucher, être touché est essentiel à l’être humain donc et s’il y a bien quelque chose de dramatique dans ce à quoi nous assistons aujourd’hui c’est ce moment de pré-recueillement dont beaucoup trop sont privés et qui consiste à prendre la main de celui que l’on a tant aimé et qui part… Voilà pourquoi le toucher est important, voilà pourquoi il est un besoin vital et voilà pourquoi en mon sens, faire l’amour, toucher l’autre, découvrir cet autre et soi-même à travers sa sensorialité est un acte essentiel au recouvrement de nos besoins vitaux.
Faire l’amour : un ancrage dans la pulsion de vie
Devant la configuration très mortifère comme beaucoup, ma pulsion de vie est très forte. Comme tout à chacun je suis confinée, j’en profite pour travailler, m’enrichir, observer le Monde, je suis presque heureuse de ce moment de pause et j’essaye de me nourrir de mes propres observations pour y voir plus clair, sur moi, sur ma vie. Je suis seule. Ma famille est loin, nous nous appelons. Je suis seule à un moment où des couples sont confinés dans de petits espaces, et ces couples là je les envie -ou pas selon ce que je sais de leur situation conjugale- parce qu’ils ont ce pouvoir de se toucher, de faire l’amour, de venir coller à ce moi-peau.
Mais voilà, pour milles raisons, nous pouvons être loin de ceux qui nous sont chers ou chairs (écrivez le comme il vous plait). C’est le cas de ces couples qui ont décidé de ne pas passer cette période sous le même toit, parce que l’un devait travailler et ne voulait pas exposer ses enfants au risque pandémique, parce que parfois le domicile est trop éloigné du lieu d’exercice, parce que les voyages d’affaire ont rendu les retours plus difficiles, parce que le couple « était jeune » et pas suffisamment installé pour tenter le vivre ensemble, parce qu’il existe des couples illégitimes, qui s’aiment mais qui ne peuvent être ensemble.
Et que l’on soit seul, accompagné avec trois enfants dans 50m2, amoureux, non amoureux, la question de cette essentielle sexualité se pose…. Bye bye libido, retrouvons nous après la fin du Monde ? Non ! Mauvaise idée, c’est maintenant que tu dois nous aider à nous faire nous sentir en vie (ou envie aller c’est un festival, là aussi écrivez-le comme vous voulez). L’être humain ne peut se résigner à ne pas explorer sa part libidinale, je vous/nous mentirais si je vous disais l’inverse, et là aussi, en couple ou non le numérique nous offre des solutions.
Web-Cam et Pulsion scopique
A l’instar de différents espaces numériques culturels, les célèbres Jackie et Michel ont été dans les premiers à répondre en mettant en ligne gratuitement des contenus. D’autres sites dédiés à la pornographie ont suivi, mais dans les faits cela ressemblait plus à un joli coup de pub qu’à un réel désir de soutenir notre activité pulsionnelle. Pour preuve je cherche encore à accéder aux contenus porno-chic que nous promettaient les énonces faites. Non au lieu de cela je suis, mon âme de documentaliste m’obligeant à investiguer un peu plus profondément mes sources, tombée sur des vidéos d’une vulgarité sans nom. Pourquoi donc la femme est-elle considérée encore en 2020 autant comme l’unique objet de jouissance de l’Autre ? Et c’est à cela que nos adolescents aujourd’hui sont exposés ? Je redécouvre cet univers avec grand étonnement et regrette encore plus ne pas avoir pu accéder aux productions Dorcel que je cherche activement.
Je m’interroge sur la pulsion scopique que ces sites me renvoient et ose penser que certains de ces couples confinés l’alimentent. Allez je vous donne une définition de cette dite pulsion car en terme de pornographie numérique elle est importante. Freud nous l’expliquait par le plaisir de posséder l’Autre par le regard indépendamment des zones érogènes où l’individu s’empare de l’autre comme objet de plaisir qu’il soumet à son regard contrôlant. Allez on laisse tomber Jackie et Michel, et on allume nos Webcam, oui oui… La même qui nous sert à discuter bilan avec Jacques et Michelle de la compta, et la même qui nous convie aux interminables réunion de Direction qui sont loin de ressembler à des orgies romaines.
La nudité crue et toute la nudité
La Web-cam, le sexto, le Dick Pic pour ceux qui n’ont pas ou plus d’ambitions politiques, tous les moyens sont bons pour se chauffer, faire monter la pression de la sexualité et la vivre.
Peut-on en dehors de ce moi-peau faire vivre sa sexualité, peut-on juste à travers cet outil scopique nous la réapproprier ? Chacun y va de sa petite recette. Certains n’auront jamais autant aimé redécouvrir le sexto, celui qui fait monter le désir et promet de beaux instants que la libération les invitera à explorer. Mes patients se découvrent les uns après les autres, pas seulement sur Webcam, mais aussi vis-à-vis d’eux même. Le corps malaisant, la nudité toute crue comme autant de vérités nous sont renvoyées par nos écrans à travers ces images que nous voyons et que parfois nous nous aventurons à envoyer de manière contrôlée.
Nous alimentons le désir au jour le jour et la pression aidant nous le faisons de manière de plus en plus naturelle. Sextoter avec son compagnon devient chose commune, alimenter son propre désir, celui de l’autre, dans ces temps compliqués où nous n’avons jamais eu autant besoin d’être dans la pulsion de vie, est naturel. « Ce n’est pas sale… » pour reprendre un célèbre slogan de radio des années 90. “Ce n’est pas sale…” tant que c’est assumé et que cela ne nous expose pas aux dangers futurs d’une divulgation de ces contenus. Parce que c’est certain que nous n’avons pas ni envie ni besoin d’exposer nos sexualités au regard de l’Autre car notre pudeur nous appartient, elle est propre à chacun, mais je suis néanmoins ravie d’entendre dans la bouche de mes patients que oui pour ce sujet-là aussi ils ont trouvé, toute précaution d’usage conservée, leur solution numérique…
Pour ce qui est de l’Amour avec ce grand A, que nous espérons tous, c’est une autre question, tellement autre d’ailleurs qu’il est intéressant de voir comment les applis de rencontres qui pourraient laisser place à de belles discussions sont désertées pour d’autres plateformes…. Une vraie question se pose sur ce que chacun vient y chercher…. Mais cela nous en reparlerons à notre retour à la « normalité ».