Jeux vidéo, cinéma, séries, comics, le zombie est omniprésent dans la pop-culture, au point d’arriver à saturation. Voici quelques éléments pour pouvoir penser les raisons de ce succès, qui font que ceux qu’on appelle morts-vivants, goules ou encore rôdeurs, fascinent tant les vivants.
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In your head, zombie…
A l’origine, le zombie vient de la culture haïtienne. Le sorcier vaudou redonnerait vie aux défunts en utilisant de la magie, et pourrait alors les contrôler. Cependant, le zombie tel qu’il est représenté dans la pop-culture est un peu différent.
Commençons par présenter le fonctionnement normal du cerveau. Les neurones produisent une activité électrique qu’ils propagent dans le réseau neuronal pour transmettre l’information. Lors du décès, l’arrêt cardio-respiratoire entraîne l’anoxie, la privation d’oxygène dans le cerveau. Les neurones s’économisent alors quelques minutes, avant une dernière vague de dépolarisation électrique massive des neurones. Le cerveau commence alors à se détériorer très rapidement, les conséquences étant irréversibles et les séquelles importantes si le cœur parvenait à être relancé.
Dans l’univers des zombies, une des théories est qu’une cause telle que la radioactivité, une drogue ou un virus (le virus T, le solanum ou H1z1, créés artificiellement ou mutation de virus existant) entraîne une repolarisation électrique du cerveau après la dernière dépolarisation. Celui-ci s’étant rapidement dégradé, ce sont surtout les parties motrices et végétatives qui sont partiellement réactivées, parties gérant la motricité et le besoin fondamental de s’alimenter. Le corps en putréfaction peut alors tenter de se relever et aller se nourrir avec la première chose qui lui tombe sous la main, généralement de la chair vivante. Quasiment toute la conscience, le jugement, le langage et l’intelligence sont détruites à cause des dommages du cerveau, notamment la partie corticale.
Contrairement à la « résurrection de la chair » chère au credo catholique, il s’agit ici non d’une résurrection mais d’une réactivation d’un cadavre. L’oxymore « mort-vivant » n’est donc pas le terme le plus juste, le zombie étant plutôt un mort-marchant. Le comics The Walking Dead est donc parfaitement dans le vrai avec son titre.
Pour expliquer pourquoi le zombie agit avec agressivité au lieu de chercher à se faire un plat de pâtes et de rester bloquer devant la casserole, ne sachant plus qu’en faire, on avance là encore une réponse virale. Le virus réactivant le corps du défunt serait un phénomène proche de celui de la rage, qui entraîne pour son porteur une agressivité majeure. Et comme la rage, la transmission se fait généralement par une morsure.
Zombies dans la culture
Même si le personnage du zombie existe au cinéma depuis les années 30, la version moderne du mythe vaudou a été popularisée par le film La nuit des morts-vivants de George A. Romero, en 1968, et ses suites, ou encore Evil Dead en 1983. Dans le domaine musical, c’est Michael Jackson qui incarne un « dancing-dead » dans le clip de Thriller en 1982. Le genre continue assez discrètement dans les années suivantes, avant de revenir sur le devant de la scène avec la série de jeux Alone in the Dark en 1992 et Resident Evil de Capcom en 1996.
S’en suit alors une surenchère dans le jeu vidéo. En plus du survival horror, tous les genres y passent : jeux de tir (House of the Dead, 1998), de combat (Dead Rising, 2006), jeux de tir à la première personne (FPS) en coopération (Left 4 Dead, 2008), tower-defense (Plants vs zombies, 2009), plates-formes (Deadlight, 2012), battle royale (H1Z1, 2018) etc. Les grandes productions se voient aussi envahies de morts-vivants, tels Call of Duty ou Read Dead Redemption, et les jeux à succès Minecraft et Fortnite ne sont pas épargnés non plus.
Le cinéma emboîte le pas aux jeux vidéo avec, entre autres, 28 jours plus tard (2002), quelques ovnis comme les comédies Shaun of the dead (2004) ou Zombieland (2009), et même une comédie romantique (Warm bodies, 2013). Côté papier, le Guide de survie en territoire zombie (2003) est une étrangeté à découvrir, mais on peut citer le comics The Walking Dead (2003) et son adaptation en série télévisée (2010) comme un succès commercial, et non sans raison.
La chute de la post-modernité
On peut faire plusieurs hypothèses quant au succès de cet univers dystopique. Il existe une théorie nommée collapsologie qui gagne en popularité depuis quelques temps, qui pense que notre civilisation va bientôt s’effondrer, tout comme ça a pu être le cas pour d’autres avant nous, comme l’Empire Romain ou l’Egypte des pharaons.
Le fait que notre société post-moderne capitaliste puisse s’écrouler s’appuie sur plusieurs causes présumées, la surconsommation capitaliste des ressources et le réchauffement climatique en étant des exemples. Il est d’ailleurs assez intéressant de voir que la critique de l’abrutissement du consommateur qui erre les yeux rivés sur son smartphone soit symbolisée par la figure du zombie dans les zombies-walk, manifestations où les personnes miment des zombies pour dénoncer l’apathie grandissante globale. Si l’homo sapiens a cédé sur sa liberté pour se sédentariser et vivre en communauté, il a gagné en organisation sociétale et, avec l’obligation de travailler pour la communauté, il obtient une garantie relative que la loi du groupe servira de cadre aux débordements pulsionnels. Techniquement, on vit donc plus longtemps, et le niveau moyen de violence sur la planète est plus bas qu’il ne l’a jamais été au cours des siècles et millénaires précédents. La chute de notre civilisation entraînerait automatiquement une destruction d’une partie de notre système judiciaire et de maintien de l’ordre, les pulsions humaines pourraient alors de nouveau s’exprimer, n’ayant plus de cadre pour les maintenir.
C’est précisément le cœur du comics et de la série The walking dead, et une des raisons de son succès. Bien plus qu’une série gore et parfois violente, cette série pose une question : si la civilisation s’écroule, comment se comporterait les humains face à cette chute ? Et force est de constater que, dans cette série du moins, les humains ne feraient pas front face à une menace commune, mais utiliserait la force pour s’accaparer les ressources restantes, le monde ferait donc un bond en arrière en terme de violence entre humains. Cette angoisse, de moins en moins inconsciente, trouve donc sa sublimation par la série télé, les films et autres jeux vidéo de zombies.
Mort et cannibalisme
Cependant, cet univers dystopique semble apparemment universellement plus parlant que certains autres, comme le roman 1984, car l’apocalypse zombie a pour cœur une angoisse universelle, la mort, et un tabou ancestral, le cannibalisme.
Dans Totem et Tabou, Sigmund Freud construit un mythe fondateur de la société : le père tyrannique de la horde est tué et dévoré ses fils alliés. Pour pérenniser la société, ils décident d’interdire le meurtre, le cannibalisme et l’inceste en instaurant l’exogamie (le fait d’aller chercher compagne dans une autre tribu). Le meurtre est bel et bien moins important qu’autrefois dans notre société moderne mais toujours présent. L’inceste apparaît régulièrement dans des faits divers sordides. Seul l’interdit du cannibalisme semble tenir, beaucoup plus rare dans l’actualité. Lors d’une apocalypse zombie, la chute du dernier tabou, le cannibalisme, serait l’effroyable preuve de la fin de notre civilisation.
On peut penser qu’un des éléments ayant fait basculer l’humanité vers une civilisation est la ritualisation de la mort, et donc sa conscience. De tous les animaux, l’homme est un des seuls, voire le seul, à avoir conscience de son statut de mortel. La mort étant non appréhendable car celui qui l’éprouve ne peut plus en rendre compte, un tas de concepts sont venus voiler cette impensable vérité : nous allons mourir. Parmi ces voiles, le récit. Le récit théiste d’une part avec la religion : la mort n’est pas une fin en soit, un autre monde nous attends au-delà. Le récit spirituel non théiste, avec notamment la réincarnation. Enfin, le récit artistique, l’art nous permettant d’une part de sublimer cette angoisse fondamentale, et d’autre part de nous divertir. A cette sublimation s’ajoute donc le concept de divertissement au sens de Blaise Pascal : nous divertir permet de nous faire temporairement éviter de penser à cette fin inéluctable.
De la tragédie grecque à The Walking Dead en passant par le jeu Arizona Sunhsine en réalité virtuelle, tous ces divertissements nous permettent de sublimer notre angoisse de la mort. Et force est de constater que l’univers zombie est un des plus violents en termes de conception du corps mort. Il est en effet plus rassurant d’imaginer son père décédé s’entrainant paisiblement sur la planète de Kaio (Dragon Ball Z) qu’errant dans le quartier à la recherche d’un voisin appétissant. Si on se projette l’espace d’un instant, on imagine qu’un travail de deuil inédit serait à l’œuvre dans cet univers. Le deuil blanc est l’acceptation de la perte symbolique d’un proche atteint d’une maladie cognitive ou neuro-dégénérative, sa personnalité étant à jamais modifiée alors que son corps est toujours présent. Il s’agirait dans cet univers d’un deuil noir, où la personnalité du défunt serait également perdue mais, qui en plus d’être toujours physiquement présent, propagerait la mort autour de lui.
Stade oral
Le zombie cherche à se nourrir, l’oralité est au cœur de son existence. La psychanalyse pense le développement de l’enfant suit plusieurs stades, l’oralité étant le premier, le besoin de se nourrir étant le plus fondamental après la première respiration du nouveau-né.
Le cerveau du défunt étant profondément détérioré, c’est donc à ce besoin primaire que le zombie revient, réactivant chez les vivants l’angoisse de dévoration. Pour résumer grossièrement cette proposition de Jacques Lacan, l’enfant nouveau-né souhaite fusionner de nouveau avec sa mère, ce qui pourra évoluer plus tard vers un désir œdipien. La mère, dans une fusion temporaire avec le nouveau-né, aurait le fantasme de réintégrer son produit, ce que le tiers (père, conjoint, amis etc.) va venir interdire. Par ailleurs, dans les troubles de type psychotique, cette angoisse de dévoration peut devenir bien plus prégnante. Le personnage du zombie vient donc sublimer cette angoisse en la symbolisant dans le Réel de son univers virtuel.
De la paranoïa ?
Une dernière façon de voir l’univers zombie serait de le penser comme une métaphore de la paranoïa. Imaginez-vous allant vous promener dans votre quartier lors d’une apocalypse zombie. Étrange idée, je vous le concède. Vous croiserez sans doute des « rôdeurs » dont vous devez tenir compte, même si vous savez que vous êtes la seule personne vivante à ce moment dans la rue, les autres n’étant que des corps. Cela renvoie au fait que, dans la psychose, l’Autre n’existe pas. Vous serez méfiant en permanence car vous serez intimement convaincu que l’autre vous veut de mal, donc vous éviterez d’entrer en contact avec lui sauf si absolument nécessaire. Si jamais l’esquive est impossible et que la rencontre a lieu, le seul choix serait de contre-attaquer pour éviter d’être anéanti. Je rappelle cependant que j’évoque une métaphore, les personnes atteintes de troubles mentaux ne passent quasiment jamais à l’acte. En tout cas, cette métaphore paranoïaque peut être mise en abîme avec l’individualisme et l’esprit de compétition prônés par la logique capitaliste de notre société post-moderne.
Voici donc quelques pistes de lecture d’un phénomène à succès dans la culture pop, à la fois reflet de nos angoisses archaïques et des interrogations post-modernes qui, si on se place dans une optique pessimiste, pourraient ne pas aller en s’amoindrissant.
Pour en savoir plus :
Guide de survie en territoire zombie – Max Brooks – Le livre de proche, 2010
France Culture – Philosophie du gore : anthropologie du zombie.