Les jeux vidéo intoxiquent le monde ?

Manette de jeux vidéo et violence, par Psycheclic

« On a le sentiment parfois que certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués ». E. Macron – 30 juin 2023.

Le jeu vidéo, de nouveau bouc émissaire idéal pour tous les maux de la société ? Nous avons tous entendu au moins une fois que le jeu vidéo était un loisir discutable, mauvais voire dangereux. 

Dernièrement, à la suite des émeutes de fin juin 2023 dans toute la France, consécutives au décès du jeune Nahel, le président de la république a pris la parole. Il a fait le lien entre jeux vidéo et violence dans les rues. Ce n’est pas la première fois qu’un rapport de cause à effet direct entre jeux vidéo et violence est fait, c’est presque un poncif depuis le début des années 1990. Faut-il pour autant le considérer comme valide ?

 

Juin 2023, une allocution tout droit sortie des années 1990. 

Les jeux vidéo sont ciblés par des discours anti jeux vidéo depuis les années 1990, et plus exactement depuis la tragédie de Columbine aux Etats-Unis en 1999. Après avoir assassiné plus d’une dizaine de personnes, un lien a été établi entre le passage à l’acte des deux tueurs et le fait qu’ils étaient joueurs de Doom (ID Software). Ainsi, les jeux vidéo ont été utilisés comme bouc émissaire, au lieu de questionner le profil psychologique des deux meurtriers, et plus largement le rapport du pays aux armes à feu.

Certes, quelques études anciennes biaisées pouvaient valider cette théorie, mais la très grande majorité des études récentes montrent que rien ne prouve que les jeux vidéo rendent violents à ce jour. Déjà en 2003, M. Nachez et P. Schmoll concluent que le jeu vidéo ne rend pas violent et permet de nouvelles formes de socialisation. Plus récemment, l’article sur the conversation de Joanne Orlando daté d’octobre 2022, refait le point sur cette question de la violence chez les jeunes liée au jeu vidéo et conclu que nous ne comprenons toujours pas exactement le lien entre les problématiques liées aux jeux vidéo et les facteurs de la vie d’une personne. Les recherches doivent être plus approfondies pour résoudre cette question.

Nous pourrions aussi citer l’étude menée par l’Oxford Internet Institute (Royaume-Uni) en 2019 ou encore l’étude parue dans la revue Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking le 18 décembre 2020 réfutant les liens entre violence et jeux vidéo. 

 

Frustration et irritabilité.

Arrêtons nous un instant sur la notion de frustration, parfois pointée comme une des causes du passage à l’acte violent, propre aux jeux vidéo mais aussi au sport.

Un des critères qui définissent le jeu, qu’il soit traditionnel, vidéo ludique ou sportif, est le fait que l’enjeu soit incertain. Cela entraîne donc une possibilité d’échec et donc une frustration. La frustration est parfois vue comme négative. Or bien au contraire, le jeune enfant doit être confronté à la frustration par ses parents et son environnement pour comprendre qu’il n’est pas tout puissant et qu’il doit faire avec ses semblables, qui ne sont pas des objets à sa disposition. C’est en allant au-delà de cette frustration que l’enfant deviendra sociable, et aura des objectifs de vie.

Cette frustration due à l’échec entraîne parfois une irritabilité temporaire tout à fait naturelle, l’apprentissage de la gestion de celle-ci faisant partie intégrante de la pratique du jeu. Et c’est cette irritabilité qui est parfois prise pour une démonstration de violence. Pourtant, lorsque John Mc Enroe cassait sa raquette ou Zinedine Zidane frappait un joueur de l’équipe adverse, personne ne venait à penser que le sport rendait violent.

Joueuse en colère - Psycheclic, réalisé avec SDXL.
Joueuse en colère – Psycheclic, réalisé avec SDXL.

La violence dans les jeux vidéo et la loi. 

Comme tous médias, le jeu vidéo est passé par des questions juridiques et politiques, cela “implique de penser la place du jeu vidéo dans le jeu politique” comme le rappelle Olivier Mauco dans son article de 2011 sur “l’institutionnalisation de la violence des jeux vidéo à l’Assemblée nationale”. Ce qu’il ressort majoritairement des discussions autour du jeu vidéo à l’assemblée nationale c’est une méconnaissance du sujet. Aujourd’hui malgré une meilleure appréhension du domaine, aucune loi ne réglemente les jeux vidéo et leur contenu en dehors du PEGI.

 

Le PEGI comme réponse ? 

L’une des réponses à la réglementation des jeux vidéo est le PEGI (Pan European Gaming Information). Tous les jeux vidéo doivent comporter des logos indiquant l’âge minimum du joueur et le type de contenu. La classification actuelle s’établit autour de cinq graduations : déconseillé aux moins de trois, sept, douze, seize et dix-huit ans, selon des critères de représentation de violence, de sexe, de jeux d’argent, d’usage d’alcool ou de drogues et de grossièreté du langage.

PEGI
PEGI

Mais, peut-on se fier au PEGI ? 

Le logo PEGI est géré en grande partie par les éditeurs eux-mêmes, et qui n’impose aucune contrainte au consommateur. Le PEGI est né de l’industrie vidéoludique, fortement inspiré par l’ESRB américain à la suite d’une revendication de l’association Familles de France à la sortie de Grand Theft Auto (Rockstar), en 1999.

Mais rappelons que le PEGI est très limité, parfois inexact puisque c’est l’éditeur qui le met en place pour chaque jeu. De plus, il n’est qu’un indicateur de contenu et n’a aucun rapport avec le passage à l’acte des consommateurs. Il n’interdit pas d’acheter un jeu, le PEGI ne fait que donner des indications aux acheteurs de jeux vidéo. 

 

De la politique.

Pourtant, il est peu probable que les propos d’Emmanuel Macron ne relèvent que d’une heuristique, un raccourci de pensée. En effet, si les humains ont tendance à simplifier les situations pour mieux les appréhender, on ne peut que voir ici le stratagème grossier pour cacher que le malaise social dépasse largement la question des écrans. C’est bien la question de la politique menée par ce gouvernement et les précédents qui est en jeu et, au lieu de les remettre en question, pointer Call of Duty ou GTA est bien plus aisé, et pourrait même séduire une partie de l’électorat.

Enfin, nous pouvons aussi noter que ce discours va à l’encontre de la posture plutôt amicale du président envers les vidéastes et l’e-sport qu’il a pu montrer dans le passé comme le montre notamment son apparition auprès des vidéastes McFly et Carlito pour un concours d’anecdotes.

En conclusion, nous n’avons donc à ce jour aucun lien avéré entre passage à l’acte violent et jeu vidéo, malgré des débats datant et encore très actuels sur le sujet, faisant régulièrement la une des médias. 

 

Bibliographie.

Olivier Mauco, Jeux vidéo : Hors de contrôle ? : Industrie, politique, morale, Paris, Questions théoriques, coll. « Lecture>play », 2014, 160 p.

Olivier Mauco, « L’institutionnalisation de la violence des jeux vidéo à l’Assemblée nationale », Quaderni, 75 | 2011, 51-62. 

Michel Nachez, Patrick Schmoll, « Violence et sociabilité dans les jeux vidéo en ligne », Sociétés, 2003/4 (no 82), p. 5-17. DOI : 10.3917/soc.082.0005. URL : https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-societes-2003-4-page-5.htm

Jean-Paul Santoro, « Le jeu vidéo, un jeu comme un autre ?», 2017, indisponible à la vente.

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1 commentaire sur “Les jeux vidéo intoxiquent le monde ?”

  1. Ping : GTA, entre polémiques et critiques de la société - PSYCHE CLIC

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