En explorant le monde du jeu vidéo, on est parfois confronté à des œuvres qui questionnent le joueur quant à la nature même de ce qu’est un produit vidéo-ludique. En effet, si une majorité de jeux vidéo peut notamment se définir par une certaine interactivité et une issue non certaine, The Graveyard (Tale of Tales) ne ferait donc pas partie de cette liste.
Pourtant, le jeu figure bien dans la catégorie Jeux des plates-formes de téléchargement. Alors, de quoi relève cette expérience ?
Malgré sa simplicité extrême, cette promenade monochrome semble pouvoir se lire sous plusieurs axes. Le jeu se déroule dans un cimetière, en noir et blanc, évoquant l’idée de naviguer dans une peinture en nuance de gris, ou encore une photographie ancienne. Le premier regard posé sur ce jeu est celui de la découverte d’un tableau, avec un rendu visuel à la fois simple et esthétique, voire poétique, renvoyant, paradoxalement au lieu, à un sentiment de sérénité.
” Cette expérience de jeu pourrait donc être une métaphore intéressante à soumettre aux professionnels. “
Le joueur dirige une dame âgée, qu’on accompagne lentement dans l’allée du cimetière. Immédiatement, on prend conscience de la temporalité du sujet âgé, très différente de celle des adultes plus jeunes et des enfants, notamment à cause de la faiblesse physique de plus en plus prégnante, éventuellement accompagnée de troubles cognitifs. Pour le personnel soignant entamant leurs carrières au sein d’institutions telles que des EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), la prise en compte de cette temporalité est primordiale pour leur pratique, tout en étant à la fois contradictoire avec les injonctions organisationnelles de la vie en institution. Cette expérience de jeu pourrait donc être une métaphore intéressante à soumettre aux professionnels pour mieux leur permettre d’occuper virtuellement, pendant quelques minutes, la place de l’âgé dans sa dimension temporelle.
Ainsi, de la même façon que le ferait un proche d’une personne âgée ou qu’un professionnel dans la réalité, le joueur accompagne virtuellement cette dame à son rythme, en taisant sa propre impatience due à une temporalité différente, par ailleurs exacerbée dans une société où l’injonction à la rentabilité du temps s’oppose au fait de prendre le temps. Pendant ces quelques instants de parcours, le joueur peut observer plus en détail le lieu qu’il aurait peut-être occulté en campant un jeune coureur, voir un hérisson supersonique.
” Le jeu propose, en parallèle de la métaphore de la temporalité de la vieillesse, la question naturellement associée au grand âge : la fin de vie.”
Le jeu propose, en parallèle de la métaphore de la temporalité de la vieillesse, la question naturellement associée au grand âge : la fin de vie, ici symbolisée par cette modélisation de cimetière. Ce jeu convoque chez le joueur la question de la mort, mais non comme on la côtoie habituellement dans le jeu vidéo, où il s’agit rarement d’une perte, le personnage revenant après une mort impromptue. On parle bien ici de la fin de vie, la mort inéluctable de tout être humain. Certains trouvent une réponse à la question de la mort dans la religion, pour d’autres, ce peut être par l’art. The Graveyard pourrait donc faire parti de cette réponse artistique aux interrogations relatives à la mort. Lorsque la dame arrive au bout de l’allée, elle s’assoie, lorsqu’elle le désire, sur un banc, et réfléchit, aux personnes connues aujourd’hui disparues, accompagnée par une chanson. Le joueur devra ensuite raccompagner la vielle dame, au même rythme, à la sortie du cimetière, pour terminer cette expérience.
De manière ironique, les concepteurs proposent une version payante du jeu où la seule différence est que le personnage principal peut mourir, comme un clin d’œil à l’omniprésence d’une mort rarement irréversible dans le monde du jeu vidéo plus classique.
” Ce jeu n’est donc pas amusant, ni complexe ou intense.”
Enfin, ce jeu est une expérience émotionnelle, un « jeu expressif » pour reprendre l’expression de Sébastien Genvo, Maître de conférence. Si le jeu vidéo, à l’instar d’autres formes d’expression telles que le cinéma, la littérature ou encore les arts picturaux, suscite des émotions, ce n’est habituellement pas le cœur du gameplay. Dans le jeu expressif, c’est le centre de l’expérience, les mécaniques de jeu parfois rudimentaires étant au second plan, comme ici dans The Graveyard.
Ce jeu n’est donc pas amusant, ni complexe ou intense. C’est une expérience, une œuvre surprenante, questionnante, que le joueur curieux, l’artiste ou encore celui qui se questionne un tant soit peu sur le grand âge, devrait essayer, quelques lentes minutes.