La bande annonce du prochain Assassin’s Creed vient de sortir et fait déjà couler beaucoup d’encre chez les gameurs, mais aussi du côté des historiens. Ubisoft s’est préparé aux critiques, mieux les a devancées en permettant à l’un de ses consultants, Thierry Noël, historien, d’y répondre sur son site officiel. Qu’en est-il ? Que pensez du nouvel opus ? Quelle petite histoire de la grande Histoire Viking nous est racontée aujourd’hui avec la sortie annoncée de Valhalla ?
Table des matières
Assassin’s Creed
Du contenu ! Assassin’s Creed valide à mesure de ses sorties son statut de licence à succès en proposant du contenu de qualité dans des univers divers et variés tout en utilisant une symbolique forte autour de groupes d’individus qui auraient traversés le temps et les civilisations à savoir les Assassins et les Templiers. Les différents opus de la licence inscrivent leurs scenarii au sein de différentes cultures et périodes historiques. Ils sont connus et attendus pour cela. On a ainsi pu jouer un Medjaÿ en Egypte dans AC Origins, un mercenaire, descendant de Leonidas en Grèce antique dans AC Odyssey et, dans AC Unity, on peut encore profiter de la flèche de Notre Dame de Paris. Flèche qui pourtant constitue un anachronisme sans précédent car n’ayant pas encore été édifiée au moment où se déroule la scène. Qu’importe des petites anomalies de la sorte les jeux en sont truffés et bien souvent seul l’œil averti de l’historien les perçoit. Quoiqu’il en soit Assassins Creed à défaut de s’adresser à des historiens purs et durs a su réconcilier pas mal de nos amis gameurs avec cette autre grande Dame qu’est l’Histoire.
Le prochain opus n’échappe pas à la règle. Il se déroulera en pleine expansion viking. Encore une fois, l’équipe de développement du jeu a pu compter sur plusieurs historiens pour parfaire son nouveau projet, dont voici le synopsis, fraichement dévoilé :
<< Incarnez Eivor, Viking dont l’éducation a reposé sur le combat, et menez votre clan des terres désolées et glacées de Norvège à celles verdoyantes de l’Angleterre du IXe siècle. Fondez-y la colonie de votre peuple et partez à la conquête de territoires hostiles afin de gagner votre place au Valhalla.
À l’époque des Vikings, l’Angleterre n’est que petits domaines et royaumes guerroyant sans cesse. Mais elle offre des terres riches qui n’attendent que d’être conquises et unifiées. Y parviendrez-vous ? >>
Défi lancé ! Guerriers, bateaux, batailles, terres promises… Le studio a su viser juste pour attirer son public. Avec la promesse d’un gameplay et d’une thématique aguicheurs, Ubisoft nous laisse avec ce trailer la promesse d’une nouvelle expérience vidéoludique riche. Et, en parlant d’univers séduisant, la culture viking plaît, on le sait, il n’y a qu’à voir le succès de la série éponyme apparue en 2013 et dont la fin de la saison 6 est toujours attendue… On peut aussi citer l’excellente série The Last Kingdom.
Un trailer court mais qui en dit long
Sur Twitter, la maîtresse de conférence en histoire médiévale spécialiste de la période scandinave, Lucie Malbos (université de Poitiers), s’est prêtée au jeu de l’analyse pour Actuel Moyen Age (@AgeMoyen) Je ne peux que vous conseiller d’aller lire ce passionnant thread.
Mais, intéressons-nous un peu plus au personnage que nous découvrons dans ce trailer du côté des anglo-saxons. S’il n’est pas nommé de manière explicite, il se trahit par sa signature. On devine en signature de cette lettre : Ælfrēd (Alfred en vieil anglais) Il s’agit donc très probablement d’Alfred de Wessex.
Petit point Histoire
Alfred de Wessex (dit Alfred le Grand) est un roi anglais qui gouvernait sur le territoire de Wessex. A l’époque, le territoire anglo-saxon est découpé en différents royaumes qui se font la guerre. La situation politique est très instable ce qui va favoriser la colonisation par les vikings des terres de ces différents royaumes. Alfred de Wessex arrive au pouvoir en 871 ap. J.C., il est une figure historique importante. Il est un des personnages du haut Moyen Âge sur lesquels nous sommes le mieux renseignés et Alfred de Wessex est aussi célèbre que méconnu comme peut l’être Clovis en France.
Alfred de Wessex a bien mené des guerres contre la présence viking en Angleterre durant son règne pour repousser la domination danoise et reconquérir le Danelaw (territoire sous le joug des lois danoises).
Pour aller plus loin : Comme Clovis pour le royaume franc, Alfred de Wessex est le roi du territoire de Wessex, mais pas de l’Angleterre qui n’est pas un territoire unifié à cette époque. Cependant, à la suite des conquêtes Vikings, les autres royaumes vont peu à peu disparaître et Alfred en profitera pour prendre le titre de roi des anglo-saxons. On peut noter que la famille de Wessex va diriger le royaume d’Angleterre, qui ne s’appellera ainsi que lorsqu’il sera unifié sous le règne du petit fils d’Alfred (Æthelstan ou Athelstan), jusqu’en 1066.
Connaître l’identité de ce personnage qui semble centrale dans le jeu, nous permet de placer le récit dans la seconde moitié/ à la fin du IXe siècle durant sa période de règne. Il est difficile de connaître précisément l’année à laquelle se déroule le récit du jeu mais, on peut espérer jouer au tout début du règne d’Alfred puisque le discours de la missive tend à montrer le désir d’union de ce dernier. Ce trailer, qui met en scène le contenu de cette lettre nous permet de comprendre le contexte politique du royaume dans lequel se déroule l’action avec, d’un côté l’installation des “barbares vikings”, et de l’autre, un contexte politique compliqué.
L’objectif de cette lettre n’est pas précisé directement, mais on peut facilement imaginer qu’il s’agit d’une requête de coalition à destination des autres rois anglo-saxons pour bouter les vikings hors des territoires leur appartenant.
Et les vikings dans tout ça ?
Nous avons donc, Alfred de Wessex qui fait état de la présence des vikings sur les terres anglaises. Nous le voyons écrire une lettre où il dépeint un portrait des envahisseurs. Il qualifie les vikings de “barbares païens, sans pitié, qui tuent et massacrent aveuglément, qui souillent le sol d’Angleterre”.
Face à ce discours, Ubisoft nous montre des scènes de vie vikings censées appuyer les propos du roi anglais. Ces images sont chargées de questions. Pour y répondre nous avons rencontré Amanda Berger, étudiante en archéologie, parcours médiéval scandinave à l’Université Paris IV Sorbonne.
- Peux-tu nous expliquer la situation du peuple viking à la période du jeu ?
L’ère viking s’étend du VIIIème siècle au milieu du XIème. Les dates retenues par les historiens pour délimiter cette période de près de trois siècles sont celles de la mise à sac de l’abbaye de Lindisfarne en 793, située sur une île au Nord-Est de l’Angleterre, et celle de la bataille de Hasting en 1066, toujours en Angleterre. Assassin’s Creed Valhalla se déroule dans la deuxième moitié du IXème siècle, sous le règne d’Alfred de Wessex, roi de 871 à 899. A cette époque, les incursions vikings en monde chrétien battent leur plein. Les Scandinaves sont motivés par les richesses de l’Eglise chrétienne faciles d’obtention puisqu’ils ne rencontrent que peu de résistance. Du reste, il n’était pas rare que les populations menacées par les vikings leur versent une somme d’argent conséquente (le Danegeld), afin qu’ils cessent leurs pillages et repartent. Par ailleurs, les scandinaves manifestaient également un vif intérêt pour les terres cultivables, bien différentes de celles de leurs pays, et si possibilité il y avait de s’établir, possibilité ils saisissaient. Les ressources et la découverte de nouvelles terres donc, étaient ce qui animaient les vikings.
- Peut-on parler de « peuple viking » ?
Le terme de « viking » possède plusieurs origines étymologiques possibles. Mais l’hypothèse la plus probable est que le mot viking viendrait de wicing en vieil anglais, vocable qui fait référence à une personne qui se déplace en navire. Rappelons-le, le viking est avant toute chose un commerçant, un pillard ou un explorateur qui se déplace en bateau. Le terme de viking désigne donc uniquement ces personnes qui participent aux expéditions en bateau, et non l’entièreté des peuples des pays scandinaves à la période médiévale, comme on le pense généralement à tort.
- Les vikings étaient-ils vraiment un peuple belliqueux assoiffé de sang ?
Non. Les témoignages que nous possédons sur les vikings nous proviennent des écrits des chrétiens victimes de ces raids, il faut donc se questionner sur la part d’objectivité de ces récits. Il faut se mettre dans la tête d’un moine du IXème siècle : voyant arriver ces barbares qui pillent et profanent les terres chrétiennes, il ne peut qu’en être particulièrement choqué et sa piété meurtrie. Ainsi, dans leurs témoignages les chrétiens n’hésitaient pas à diaboliser les vikings, les décrivant comme des individus sans foi ni loi. En réalité, bien que différentes de celles des chrétiens, les règles morales et les lois faisaient partie intégrante de leur culture (on ne levait pas si facilement la main sur une femme par exemple), et leur culture était quant à elle très riche artistiquement (nul besoin de rappeler leur goût et leur talent pour la poésie).
- Et la religion ?
Ce n’est un secret pour personne, les vikings étaient païens (c’est ainsi que les chrétiens désignaient les polythéistes), et le panthéon de la mythologie nordique est véritablement riche en protagonistes et en histoires. Il faut savoir que les chrétiens n’acceptaient de commercer qu’avec des personnes partageant leur foi. C’est pourquoi il n’était pas rare de voir des vikings se convertir, sans qu’ils ne renient pour autant totalement leurs dieux et leurs traditions cultuelles dans un premier temps. On peut prendre à témoin le bel exemple de la Croix de Gosforth en Angleterre, une croix chrétienne en pierre datée du Xème siècle, gravée de scènes de la mythologie nordique. La christianisation totale des mondes nordiques n’interviendra qu’au tournant du Xème – XIème siècle.
Non. Nous avons une bonne connaissance des différents bateaux vikings et ceux-ci sont généralement plutôt bien représentés dans la culture populaire. Mais le terme de drakkar est une déformation. Pour faire simple, les vikings employaient beaucoup de figures de styles dans leur langue, et au lieu de dire « mon bateau », ils pouvaient dire « mon dragon » (référence à leur figure de proue). Dragon se dit dreki en vieux norrois, terme repris par les suédois au cours du XIXème avec le mot drake, qui donne drakar au pluriel, mot qui aurait à son tour été repris par un journaliste français à la même époque. En fait le bateau viking est un tout simplement un langskip, littéralement un « bateau long ». Il en existe ensuite plusieurs types, dont le knörr ou le skeid utilisés pour ces activités. Si vous désirez employer un terme teinté d’authenticité et qui fasse « viking », préférez l’un d’eux.
- La représentation des vikings dans la culture populaire est-elle juste historiquement?
Il faut réussir à se détacher de l’image très HBO que l’on peut avoir du viking aujourd’hui. Même si ces scandinaves étaient réputés pour leur apparence très soignée et leur propreté (eh oui !), il va de soi qu’ils ne prenaient pas le temps de faire des coiffures aussi élaborées que celles de Lagertha ou de Ragnar avant de partir en raid. Alors certes, ils prenaient soin de leurs cheveux et de leurs barbes bien taillées, les entretenaient à grands renforts de diverses substances telles que de la cire ou des produits pour les colorer, mais au risque de vous décevoir, il était plus courant de voir les femmes coiffées d’un chignon accompagné d’un foulard. Qu’en est-il de leur force surhumaine et leur taille gigantesque décrites par les moines apeurés ? Ils mesuraient environs 1m60 pour les femmes et 1m70 pour les hommes, bien loin du gabarit de Rollo dans la série Vikings, en somme.
Le strandhögg, c’est la tactique adoptée par les vikings la grande majorité du temps. Le strandhögg c’est quoi ? C’est un procédé de raid éclair. Strönd signifiant « rive » et högg « frapper », cette technique se résume à accoster sur les rives et à frapper rapidement avant de repartir, d’où l’idée de raid éclair. En réalité, les vikings n’étaient pas les grands guerriers invincibles tels qu’on aime les imaginer. Les quelques rares grandes batailles auxquelles ils ont participé se sont pratiquement toujours soldées par un échec pour eux. Mais à quoi ressemblait un viking sur le champ de bataille ? Eh bien avant toute chose, c’est un fait, il ne portait pas de casque à cornes, mais il portait bien un casque (même si ce n’était pas systématique). Les traces archéologiques nous permettent de savoir que les casques qu’ils portaient étaient coniques à nasal, ou avec lunettes, et étaient faits en métal ou en cuir. Quant à ses armes ? Il arborait aux choix l’épée et le bouclier, la hache, ou encore la lance, arme emblématique d’Odin.
- Quelle était la place des femmes dans la culture viking ?
Les sociétés médiévales scandinaves n’étaient pas égalitaires. Pour résumer tout cela en quelques lignes, la politique était une affaire d’hommes, et les femmes étaient mariées pour une question d’alliances et de fortune, sans considération de sentiments.
Toutefois, la femme viking bénéficiait d’une position éminente au sein de la communauté et n’avait rien à envier à ses sœurs chrétiennes (elle pouvait d’ailleurs divorcer). Lorsque l’homme partait en expédition, c’était à elle que revenait toute la gestion du domaine, des travaux de la ferme à l’éducation des enfants. La femme viking était la maîtresse de la maison, elle en portait les clefs à sa ceinture en l’absence de son mari. Son rôle de soutien était extrêmement important, et en permettant le bon fonctionnement de la société sur place elle permettait aux hommes de s’absenter des mois durant. Par ailleurs, il existe des traces archéologiques et des témoignages de femmes guerrières notables telle que l’extraordinaire tombe de la guerrière de Birka en Suède, ou Inghen Ruaidh « la fille rouge » dont l’histoire nous est parvenue avec un texte irlandais du Xème siècle.
Conclusion
Scène de vie, rituel en l’honneur d’Odin en prévision de combats, guerriers et … guerrières… L’opus semble vouloir nous offrir un panorama complet du peuple Viking, et de cette partie de la culture scandinave dans son contexte historique très précis et mis en avant dans ces premières images que nous livre aujourd’hui le Géant Ubisoft.
Nous Sommes prêts à jouer Eivor, en quête d’un nouveau territoire pour installer les siens. Les vikings identifiés comme des barbares pillards seraient alors, plus proches de colons qui cherchent à s’installer sur un territoire dont les circonstances politiques sont favorables à cette entreprise.
Nous avons dans ce trailer une très bonne vision de la réputation qu’avaient les vikings au IXème siècle en Europe, tout en s’appuyant sur les dernières découvertes historiques avec, par exemple, la présence de femmes guerrières que l’on doit à la mise à jour de la sépulture de Birka. Sur ce point, Ubisoft a très bien réussi son coup, en justifiant la présence de l’avatar féminin et on ne peut que saluer le travail du studio qui s’appuie sur des historiens pour enrichir et aiguiller le travail des développeurs. Mais, comme nous le rappelle Amanda, le studio a aussi su s’inspirer des codes de la culture populaire pour créer le physique de leurs vikings, plus inspiré des héros de séries contemporaines que de la réalité historique…
Il faudra attendre la sortie du jeu pour enfin découvrir comment l’Histoire des Assassins se retrouve liée à celles des vikings. L’apparition de la lame secrète a réveillé les fans et ma hâte de parcourir les paysages scandinaves enneigés ainsi que le royaume de Wessex.
Bibliographie
- Pollard, Justin (2006). Alfred le Grand: l’homme qui a fait l’ Angleterre.
- Marie-Françoise Alamichel. Le roi Alfred le Grand ou la naissance d’un héros . Tome 1 (60), Presses du Centre d’Etudes Médiévales de Picardie, pp.227-239, 2016, Médiévales, 978-2-901121-92-3. ⟨hal-01346402⟩
- Boyer Régis, Les Vikings: histoire et civilisation, Paris, France, Perrin, 2004
- JOANNA KATARZYNA PUCHALSKA*, Vikings Television Series: When History and Myth1 Intermingle (http://www.pjac.uj.edu.pl/documents/30601109/116471539/6_Puchalska_89_(106).pdf consulté le 06/05/2020)
- Thalia Brero et Sébastien Farré, The Historians – Saison 1. Les séries TV décryptées par les historiens, Genève: Georg Editeur, 2017, 142 p.
- Asser (trad. Alban Gautier, Histoire du roi Alfred, Paris, Les Belles Lettres, 2013 (ISBN 978-2-25134063-0)).
- Source : Pierre JOANNON, « ALFRED LE GRAND (849-899) – roi du Wessex (871-899) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 mai 2020. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/alfred-le-grand/