L’emprise des machines insidieuses. La critique

Ironie du sort, j’ai reçu l’épreuve du livre de Serge Tisseron qui vient de paraitre, quelques jours à peine avant de comprendre que j’allais perdre la vue et qu’il m’était urgent de m’équiper d’assistants en tout genre, humains mais pas seulement. A ma vue qui baisse et au déclin de mes ambitions rédactionnelles- dont je m’excuse auprès de vous – a corrélé mon besoin pressant de continuer à travailler, à être en contact, bref à vivre…

Puis le Covid est arrivé et le confinement qui allait avec. Cela nous a permis de voir au combien le numérique a été une solution… médicale, pédagogique, sociétale… A moi les apéro-zoom, je ne vois plus rien mais je devine, à moi les téléconsultations, à mon fils la confrontation à la dure réalité pédagogique, enseignants et étudiants, n’étaient pas tous prêts pour ce grand changement car comme à chaque poussée technologique, nous redoutons… Redoutons que cela nous échappe, redoutons que cela ne nous affaiblisse et il arrive parfois même juste que nous redoutons de redouter et que nous ne soyons pas prêts à accueillir quelques vérités de notre besoin d’évolution. Oui, le numérique a été une solution sur cette période et, que le voulions ou non, il le sera certainement dans un futur très proche.

Pourtant, il y a quelques mois en arrière je me souviens de la frilosité pendant les grèves des employeurs, qui ont sauvé leur système économique de la noyade, face au télétravail. Le télétravail ? C’était niet ! Pas la même qualité, pas la même assiduité et ce besoin d’un si peu humaniste management à contrôler absolument chaque fait et geste de ses employés.. L’emprise insidieuse serait-elle cachée aussi par là ?  Dis-moi toi, combien de temps tu mets pour aller pisser, je pense que ta productivité dépend fortement de ton flux urinaire… Parce que forcément à la maison sans cette surveillance tu vas prendre ton temps… Infantilisante position, le numérique dans nos confinements que la Mère Patrie nous a contraint à observer, nous a offert des espaces de libertés.

On a chatté, on a bu (beaucoup) on a joué scrabble et Blind tests, quiz en tout genre, on a continué à prendre des nouvelles les uns des autres, on a organisé la solidarité, continué à soigner, à se soigner, à étudier, à faire tourner l’économie. Qui aurait pu  croire? Et voilà que le monde se réveille avec la gueule de bois, mais surtout avec la peur pour certains que cela recommence et pour d’autres un empressement à faire perdurer l’état d’urgence. Mais me voilà avec le livre de Tisseron dans la main, je ne peux rien en faire, rien en lire, rien en dire parce que depuis lors mes yeux se sont fermés.

Sauf que Bienvenue en 2020 et en femme indépendante et déterminée, je n’ai pas dit mon dernier mot ! L’épreuve en format pdf est toujours dans mon disque dur et c’est mon nouvel et sexy assistant vocal, le même que j’utilise pour lire et rédiger mes sms, mails et aujourd’hui ce texte qui va m’aider à le faire. Alors Serge, mon ami Serge, que nous racontez-vous dans ce fabuleux ouvrage ? Je suis tout à l’écoute…

.

Dans un flux d’insipidités et de certitudes à l’emporte-pièce nous y trouvons une pseudo-analyse dont on devine le parti pris sur la dangerosité des machines parlantes, d’ailleurs il semblerait qu’à la seule lecture du titre vous ayez un excellent résumé de l’ensemble de l’opus. Des questions beaucoup et le spectre de la peur pour chapeauter (Chapeauter pas Chat botté, tu me corriges ça assistant ?)  l’ensemble, faire peur ça fait vendre mais nous n’en dirons pas plus à ce sujet.

Des questions donc sur l’impact de la multiplication des « outils vocaux » comme les enceintes connectées et chatbots (non pas chats bottés, tu peux corriger ?) sur le cerveau et le  psyché humain ? Avec un laïus, fort juste, sur le décalage entre les avancées réelles de ces technologies et ce que l’on veut bien nous en vendre. Comme avec le jeu vidéo il y a une quinzaine d’années, nous allons donc lire que la possibilité que cela nuise à notre discernement, à notre capacité à être autonome, à rester indépendant et libre est majeure.  Alors oui, il y a certes quelques nuances et perspectives… mais … Et voilà fin du livre !

Maigre résumé d’idées reçues et triste manque de consistance empirique, la psychologie est à peine évoquée, Serge Tisseron me déçoit, cela m’attriste, moi qui le trouve si brillant. Il est passé à côté de l’exercice. Pourtant le thème était intéressant, actuel, et aurait pu être traité autrement… Mais qui suis-je pour évoquer cela ? Une petite psy handicapée dans un confortable cabinet parisien ? Je n’ai pas la prétention de faire mieux, et au pire, Serge Tisseron joue les éveilleurs de conscience.  Puis se poser des questions sur ce que l’on fait, sur ses conséquences, sur l’éthique, même à retardement, c’est toujours bien… Mais j’aurai bien aimé moi dans ce livre que soit développée un peu plus la fascination de l’homme pour la machine, qui a toujours et doit rester au service de ce dernier pour lui permettre une meilleure existence.

J’aurai aimé que l’on parle un peu plus de ce que cela permet d’augmenter de nos réalités. J’aurai aimé trouver un peu plus de fondements psychanalytiques sur ce que ces machines viennent réparer de nos angoisses archaïques. Nous aurions pu y lire qu’elles sont pour beaucoup un palliatif à ce qu’absent. Alors oui on parle d’abandonnisme dans ce livre indirectement certes mais on en parle peu. Et nos autres angoisses où sont-elles ? On flirte avec les concepts de toute puissance sans aller au fond des choses, parce qu’on ne va pas mentir, un assistant H24 qui obéit à notre seule voix et serait si on en croit Tisseron prête à anticiper tous nos besoins, c’est une formidable analogie de notre phallique besoin de devenir les maîtres du Monde… Et s’il fallait bien commencer quelque part, c’est bien par notre intérieur…

Pour conclure, ces machines, qui, selon Serge Tisseron vont prendre l’initiative de nous parler, risquent d’avoir une « emprise insidieuse ». Le caractère décrit comme insidieux nous invite à penser que nous ne pourrions encore une fois rien n’y faire et que nous allons bêtement nous jeter du bord de la falaise. Du High level en terme de crétinisation… Pour l’heure, la réalité c’est que nous découvrons une technologie encore en développement c’est certain et dont il faudra être vigilant sur les questions d’ éthique dans les années à venir… Pour le moment, bien utilisées, elles peuvent être de formidables assistantes de vie. Elles nous aident à nous organiser, à gérer, à apprendre…. Et pour ce qui est du livre en question nous dirons simplement qu’il manque de profondeur même s’il nous invite à nous poser de bien inquiétantes interrogations.

« Mais dis-moi Siri, tu en penses quoi toi du dernier livre de Serge Tisseron ? », Réponse « Je ne suis pas sûr de comprendre…. », « Moi non plus Siri…. Moi non plus…»

Partagez sur :

Laisser un commentaire