GTA. 3 lettres enchainées qui, à elles seules, déchainent les passions, et ce n’est pas l’enthousiasme relatif à la bande annonce du prochain opus qui viendra contredire cette assertion. Qu’on l’idolâtre ou qu’on la déteste, la série des Grand Theft Auto, qui a fait couler beaucoup d’encre virtuel au cours des dernières années, est connue pour son contenu défiant toute moralité, de la violence à la sexualité, en passant par les stupéfiants.
Table des matières
Début de la série et des polémiques
L’histoire commence en 1997, le premier Grand Theft Auto est créé par le studio DMA Design, qui deviendra Rockstar. Dans cette version numérique du jeu du gendarme et du voleur, le rôle du malfrat est imposé et tous les crimes sont possibles. Comme le nom du jeu l’indique, le vol de voiture à l’arrachée (car-jacking) est le mode de déplacement privilégié. Ce qui peut paraitre complètement anodin et cliché dans un film de gangster provoquera déjà de vives réactions qui resurgiront dans la totalité des jeux suivant. A l’époque, le jeu vidéo était en plein cœur de polémiques relatives à la violence, notamment suite aux sorties de jeux comme Doom (1993) ou Mortal Kombat (1992). Certaines personnes imaginaient que le fait de réaliser des actions violentes manette en main était plus engageant que d’y assister de façon passive. Les détracteurs des jeux vidéo supposaient une immersion plus importante qui augmentait le risque de confusion entre réalité et virtuel.
Naturellement, l’argument a été mainte fois balayé depuis, pourtant, le lien ressurgit de temps à autres dans l’actualité, potentiellement afin d’éviter de poser les vraies questions sociétales liées à la violence.
Ne serait-ce qu’en France, un syndicat de police a tenté de faire retirer le premier GTA, qui aurait inciter à attaquer les forces de l’ordre. Ce fut un échec, mais il sera en revanche bel et bien retiré de la vente dans certains pays.
Un deuxième opus suivra en 1999, avant le passage à la 3D en 2001 : GTA III arrive sur le devant de la scène vidéoludique en faisant du bruit, alors que les deux précédents, plus discrets sur le marché, étaient restés peu concernés par les polémiques.
Avec ce nouveau volet, c’est la joie des jeux « bac à sable » qui s’offre aux joueurs : si GTA III comprend bien une trame scénaristique matérialisée par une succession de missions, le joueur est libre de faire ce qu’il désire en dehors des dites missions. Ainsi, chacun a pu arpenter les rues de la ville de la liberté en tentant de réaliser des cascades, de trouver des paquets cachés et, évidemment, de tuer des innocents de façon aléatoire. Si ce type de jeux en monde ouvert existaient déjà, notamment avec Carmageddon (1997) ou encore Driver (1999), le joueur incarne ici Claude, un malfrat qui peut descendre de sa voiture, fuir en courant, frapper, recevoir ses missions des commanditaires… mais pas encore parler.
Place de la femme et sexualité
Le jeu est également pointé du doigt pour son rapport à la sexualité, en l’occurrence très hétérocentrée, comme encore pas mal d’œuvres cinématographiques de l’époque. Même si le premier GTA permettait d’incarner des femmes, tous les autres ne propose que des rôles masculins, jusqu’à la bande annonce du GTA VI, qui permettra d’incarner Lucia.
Pourquoi ai-je précisé hétérocentré ? D’une part parce que toutes les romances possibles dans les différents opus en 3D sont de nature hétérosexuelle. D’autres part, parce que la série est connue pour offrir la possibilité d’avoir un rapport sexuel tarifé avec une travailleuse du sexe, ou encore d’aller dans des clubs de strip tease. Encore une fois, ce genre de scène presque banale dans un film de gangster a une nouvelle fois choqué par sa présence dans un jeu vidéo pourtant estampillé PEGI 18. Il est important de rappeler que les mentalités commencent à évoluer récemment mais, qu’à l’époque, jeu vidéo rimait encore beaucoup avec adolescence, d’où le choc pour certains adultes qui imaginaient mal qu’un produit qu’ils pensaient destinés aux enfants et adolescents montrent du contenu sexuel aussi crument.
Quoi qu’il en soit, le PEGI n’étant qu’une indication et en aucun cas une interdiction, il n’est pas rare de voir des jeunes enfants jouer à GTA. Je me souviens, étudiant, avoir entendu un enfant de 8 ou 9 ans expliquer comment avoir une relation tarifée dans une ruelle sombre avant d’abattre de sang-froid la prostituée pour récupérer l’argent dépensé… De la même façon, lorsqu’en suivi, un enfant me dit jouer à GTA (en l’occurrence, pour l’instant le cinquième), je lui demande s’il a fait le mode scénario jusqu’à la rencontre avec Trevor, qu’on découvre la première fois en plein rapport sexuel dans un mobile home sordide.
Même si le joueur ne peut incarner que des hommes, les personnages féminins ont parfois eu un rôle prépondérant. Ainsi, Dans GTA III, Claude est trahi par sa compagne Catalina, qui incarnera le boss final du jeu. On la retrouvera au cœur d’une relation plutôt malsaine avec CJ dans GTA San Andreas.
Deuil et mélancolie
GTA San Andreas, sorti en 2004, est également le jeu qui introduira un thème nouveau, celui du deuil. Ce sujet déjà rencontré dans le jeu vidéo, notamment avec Max Payne (2001), sera plus présent par la suite avec entre autres Heavy Rain (2010), Brothers: A Tale of Two Sons (2013) ou encore Assassin’s Creed Origins (2017).
Dans GTA San Andreas, Carl Johnson commence l’aventure en apprenant la mort de sa mère, problématique renvoyant à une des angoisses archaïques du jeune enfant. Si ce thème reste peu développé dans ce jeu, il reviendra au premier plan dans GTA IV.
En effet, avec ce nouvel opus sorti en 2008, la série prend un tournant plus sombre et plus réaliste. Niko Bellic, originaire d’Europe de l’Est, traumatisé par la guerre en ex-yougoslavie, arrive à Liberty City. Il y retrouve son cousin Roman, qui campe ici un sidekick drôle dans la plus pure tradition cinématographique, comique stéréotypé servant à faire retomber régulièrement la pression scénaristique. Niko reste au début de l’aventure très mystérieux, ne parvenant pas à verbaliser ce qui s’est déroulé dans son passé récent, même pour son cousin.
Il décrira lors d’une cinématique une scène de guerre où sa tante, la mère de Roman, a été violée et assassinée. On pourrait imaginer, si on devait poser une diagnostique sur ce personnage virtuel, qu’il présenterait un Trouble de Stress Post Traumatique (TSPT), qui pourrait être dépassé par la thérapie, notamment par mouvements oculaires de type EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing).
Niko choisit de rechercher le responsable de ces atrocités, et finit par le trouver. Le libre arbitre du joueur est alors sollicité, point important du gameplay complétement ignoré des détracteurs du jeu. C’est ici le concept de vengeance et de peine de mort qui sont mis en question. Dans les deux cas, la mise à mort ou la clémence ne change rien au travail de deuil : il s’agit dans les deux cas d’une simple étape qui doit être traversée. En revanche, cette confrontation n’aide en rien la prise en charge du trauma.
Thérapeute virtuel et crise de la quarantaine
L’idée du personnage de jeu vidéo qui consulte un thérapeute a dû germer dans la tête des développeurs. En effet, après la scène d’introduction de GTA V, on retrouve un des protagonistes, Michael, père de famille qui présente une problématique dépressive, sur le divan de son psy, le Docteur Friedlander. C’est une des rares apparitions du métier de psychologue ou psychiatre dans un jeu vidéo, avec celle du Docteur Baker dans Heavy Rain.
Rockstar semble avoir voulu parodier, avec le Dr Friedlander, les praticiens européens au référentiel analytique. De manière caricaturale, il invite Michael a « dire ce qu’il a sur le cœur ». Alors qu’il s’apprête à le faire, le psychiatre le coupe en plein milieu d’une phrase pour conclure la séance. Il propose explicitement ses diagnostiques, augmente ses tarifs en cours de suivi, demande à être payé en liquide pour ne pas déclarer, laisse dégénérer la thérapie familiale devant les enfants, ou encore explique à Michael que lorsqu’il se sent bien, c’est du déni.
En termes de parodie, je dois dire que le résultat est plutôt bien fait. GTA a toujours été une critique acerbe des différentes facettes de la société, et le fait d’avoir un soutien psychologique pour soigner une dépression n’échappe pas à la critique. Toutefois, il est important de rappeler que la démarche de soin est plus que louable.
Par ailleurs, il semble que Rockstar veuille aller plus loin dans le choquant à chaque opus, c’est dans ce cinquième épisode qu’aura lieu une scène de torture non contournable de fort mauvais goût. Un des personnages, Trevor, annoncé comme un psychopathe en amont de la sortie du jeu, est en réalité un personnage bien plus complexe, qui présente de nombreux traits psychologiques incompatibles entre eux.
Cette scène de torture non-optionnelle semble avoir été créée dans le seul but de choquer. Pourtant, Rockstar semble ne s’en être pas réellement donné les moyens, puisque le jeu d’acteur n’est ici, contrairement au reste du jeu, absolument pas crédible. Le tortionnaire pourrait être pensé comme pervers, puisqu’il jouit de son objet. Or ce n’est ici pas du tout le cas. Comme nous l’avions dit précédemment, le profil le plus proche pourrait donc être la personnalité antisociale ou sociopathe : comportements délictueux, manipulation, impulsivité, agressivité, prise de risque, incapacité à se responsabiliser et absence de remords.
GTA VI, critique de la surexposition ?
Que nous réserve GTA VI ? La bande annonce nous donne à voir un duo de type « Bonnie & Clyde », dans une Vice City très proche de la réalité dont elle s’inspire. La bande annonce semble montrer une critique de la surexposition de soi, notamment l’image du corps de la femme, toujours présente dans notre société malgré le fait que les genres et leurs places évoluent rapidement ces dernières années.
Il est fort à parier que cette nouvelle aventure tant attendue par les fans sera techniquement la plus belle et la plus vaste, mais comprendra sans aucun doute sa dose de contenu choquant et sera donc, une nouvelle fois, à ne pas mettre en toutes les mains !
En livre
Jacked – L’histoire officieuse de GTA – David KUSHNER, Pix’n love Editions, 2013