Si vous êtes régulièrement en quête de nouvelles applications sur votre smartphone, le programme de santé mentale « Mon Sherpa » ne vous est probablement pas inconnu. Prix de l’innovation au congrès de l’Encéphale 2021, et gratuite depuis le confinement, l’application développée par le service de télémédecine Qare a été téléchargée plus de cent mille fois et été élue meilleure application de santé mentale de l’année 2020. Pleine de promesses, mais l’idée nous laissant dubitatifs, nous l’avons testée pour vous, notre stagiaire pour être plus précis. Nous laissons donc la plume virtuelle à Oriane Cheville.
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L’intelligence artificielle au service de la santé mentale
Le nombre d’outils technologiques dédiés à la santé mentale ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années. En pleine digitalisation de la société, les chatbots trouvent leur place et de nombreux « robots thérapeutes » font leur apparition. Cependant, ce n’est pas nouveau, prenons l’exemple du programme informatique ELIZA qui simule un entretien avec un thérapeute depuis les années 1960. Le programme d’inspiration humaniste rogérienne, une thérapie basée sur la personne qui prend racine dans les théories de Carl Roger à la même époque, se base sur la relance pour répondre à son interlocuteur. Notez que les trois attitudes fondamentales, qui étaient la considération positive, la congruence et la compréhension empathique du thérapeute décrites par Carl Roger sont mises à mal. En effet, nous vous mettons au défi de converser avec ELIZA plus de quelques minutes sans perdre patience ! Alors pour ce qui est de l’accès à la congruence…nous repasserons !
Depuis, au rythme du développement de la cybernétique, les applications de santé mentale ont, et c’est une chance, nettement progressé. Les chatbots donnent de plus en plus l’illusion d’un dialogue naturel avec son utilisateur. Et ça fonctionne, Owlie, Woebot, Mon Sherpa… les agents conversationnels ont la cote au vu du nombre d’utilisateurs de ces dernières années. Depuis la Covid et les mesures sanitaires, on constate une hausse de fréquentation, symptomatique du mal être psychologique de la population et du besoin de prise en charge. Les utilisateurs ont donc trouvé à travers l’intelligence artificielle un moyen de communiquer leurs états tout, en respectant les gestes barrières, mais pas que au regard des diverses solutions numériques déjà existantes et qui permettent un suivi thérapeutique à distance. Mais pas que, l’accessibilité, l’immédiateté, le faible coût sont autant d’atouts attractifs qui permettent de franchir le pas.
Mon Sherpa : mon psy est un chatbot
Mon Sherpa est un agent conversationnel de soutien psychologique disponible 24h/24 7j/7. L’application propose un soutien face à l’anxiété, aux problèmes de sommeil, à la procrastination… et plus encore. Développé par des psychiatres, psychologues et chercheurs Mon Sherpa promet d’identifier et comprendre nos symptômes et de nous accompagner vers une vie plus épanouie et stable sur le long terme.
Pas de divan, pas de paiement, ni déplacement, pas de risque de se faire surprendre par son voisin et pas non plus d’explication à donner en plein confinement à son conjoint sur d’étranges sorties non expliquées ! En bref, c’est une application pleine de promesses à laquelle on pourrait s’inquiéter de l’utilité de revoir un psy un jour.
Afin de tenir ses promesses, l’application propose un programme personnalisé à base de techniques de thérapie cognitive comportementale (TCC), de pleine conscience et de thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT). Plus de 150 exercices sont à notre disposition : activation comportementale, remédiation cognitive et mindfulness. Toute la boite à outils du psychothérapeute d’approche TCC y est présente.
L’application est donc très variée et nous sommes rapidement tentés de tout essayer. Le nombre de choix d’exercice peut d’ailleurs nous faire perdre la tête. Malgré tout, l’application nous aide à cibler certains exercices à l’aide de « parcours adaptés » sélectionnés par l’utilisateur, ici ce n’est pas le psy qui propose à partir de son analyse, mais l’utilisateur qui choisit ses propres objectifs.
Remarquons que le chatbot a pour avantage de réduire la charge cognitive de l’utilisateur par un flux de petits messages avec des informations segmentées. Il suffit de cliquer sur des propositions de réponses pré-enregistrées ou de répondre directement depuis son clavier pour que le dialogue se poursuive. Ce choix rend l’utilisation de l’application plutôt agréable et permet de mieux intégrer les informations délivrées.
Risque de frustration face à son écran
L’alliance thérapeutique explique une part importante du progrès des personnes dans une thérapie. Même si l’application regorge d’exercices TCC de bonne qualité, l’intelligence artificielle est limitée par l’expression d’empathie à son utilisateur. Les réponses du chatbot peuvent même générer de la frustration par l’utilisation de phrases stéréotypées pour répondre à une souffrance bien présente et bien singulière. En effet, il n’y a pas de réponse universelle à une souffrance. Elle est propre à chacun et les solutions apportées doivent rester autant que possible individualisables. Nous pouvons nous demander si l’application ne pourrait pas accroitre une angoisse ou un sentiment de tristesse lorsqu’il laisse seul l’usager face à son écran de téléphone.
Mais les créateurs de Sherpa n’ont jamais eu pour ambition de remplacer les psychologues ou psychiatres par des chatbots. L’objectif premier étant d’enrichir le suivi médical, et d’accroitre le sentiment d’autonomie des usagers grâce à de meilleures connaissances de soi. Il est vrai que l’application constitue un bon outil de repérage de ses émotions et constitue un bon entrainement de « défusion cognitive ». Nous pouvons cependant questionner un risque de glisser vers autre chose et de vois naitre une dépendance de l’utilisateur pour son thérapeute de poche.
Verdict
Après avoir essayé Mon Sherpa pendant plusieurs jours j’ai été surprise par la qualité des exercices proposés et la justesse des réponses, même s’il s’agit d’un chatbot. Cependant, les objectifs de l’application paraissent un peu trop ambitieux pour un programme informatique seul. S’il n’est, en aucun cas un substitut au professionnel, Mon Sherpa peut constituer un premier pas vers un accompagnement psychologique, notamment chez les personnes isolées ou qui ont des à priori négatifs au sujet des psychologues par exemple. Sherpa est donc, en bon petit psy de poche, une petite porte ouverte vers une prise en charge adaptée ou un bon complément à celle-ci…
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