“Tous joueurs” C’est le titre de la conférence que Séverine et moi avons donné à la Japan Tours 2020, mais c’est avant tout une réalité que les chiffres du SELL et que le public rencontré nous a renvoyé. L’occasion pour nous de faire un point psycho-sociologique en croisant nos regards sur la question de l’inter-générationel qui devient de plus en plus évident dans le vidéo-ludique et pas que…
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Origines du jeu
Le mot « jeu » vient du mot latin jocus signifiant « plaisanterie ». Le jeu, il existe depuis toujours et pourtant, il ne sert à priori à rien. Le divertissement est non productif en apparence, il ne permettrait pas aux hommes de s’enrichir dans la mesure où il ne créerait aucune richesse. Pire, on dit de lui que c’est une dépense d’énergie et de moyens. Pire encore, il procure du plaisir, phénomène naturellement humain, mais très fortement condamné par nos héritages religieux et plus encore judéo-chrétiens dont nos sociétés.
Pourtant le Jeu, jeu de société, jeu de stratégie, jeu de piste ou de rôle participe depuis la nuit des temps à nos élaborations identitaires, que ces dernières soient sociales ou individuelles. Le jeu contribue à la construction du Moi dans ses aspects sociétaux mais aussi psychiques. Le jeu qui prend vie dans le jouet contribue à la construction de mon “je” qui passe par le “moi”. Mais qu’est-ce que le jeu, à l’heure où nos enfants désertent les jeux de plateau et de société pour une version plus numérisée. Que penser du jeu aujourd’hui ? Remplit-il encore toutes ses fonctions ?
Homo ludens : l’homme qui joue
Depuis sa naissance et de manière instinctive presque primitive l’homme joue. Nous pourrions imaginer assez facilement Sapiens aligner des cailloux et les faire tomber. Cela commencerait sur le sein de sa mère quand il tète, mais peut être bien avant dans sa vie intra-utérine. Ensuite, Piaget nous rappelle grâce à la théorie du développement que l’enfant vit à travers le jeu des stades qu’il traverse: du comptage, à la permanence de l’objet, toutes ces acquisitions vont passer par l’interaction avec l’autre et par le jeu qui s’y opère. L’enfant apprend en jouant.
Un autre psychologue, Vygotski, évoquait une Zone Proximale de développement qui serait une zone confortable où l’individu resterait dans une certaine zone de confort par rapport aux acquisitions déjà faites et celles en devenir. C’est dans cette zone que doit être entraîné le plaisir d’apprendre et l’empêchement de la frustration à ne pas tout savoir du Monde qui nous entoure.
Winnicott et nous en parlerons tout à l’heure parlait du jouet comme un objet transitionnel, une sorte de pont entre le dedans et le dehors, objet rassurant du doudou ou de la petite voiture qui accompagne à l’école, hostile milieu extérieur, quand on quitte l’environnement sécuritaire de la maison. Une question me taraude, nous autres adultes n’aurions-nous pas quelques objets transitionnels dans nos poches ?
Jouer est un acte socialisant
Quand nous voyons nos jeunes aujourd’hui les yeux rivés sur leurs smartphones nous pourrions en douter et pourtant oui le jeu est social. Il permet d’aller facilement vers les autres, d’interagir avec eux, d’échanger, de créer du lien et de se faire des amis. Et de se construire comme individu au sein d’un groupe, en y affirmant sa personnalité, son système de valeurs, je suis un tricheur ou pas ? j’aime jouer à ce jeu ou pas ?
Psychiquement nous l’avons vu dans cette conférence à travers la culture de son mode imaginaire mais aussi dans ce que le jeu a de projectif et le jouet être un support à ces mêmes projections. Le jeu sert à l’appréhension de la réalité, mais aussi des règles sociales. Quel beau et vrai nom porte le jeu de société. Séverine dira aimer beaucoup utiliser cette analogie. D’ailleurs en consultation elle le spécifie et l’utilise ; le jeu de société a des règles, elles sont prédéfinies, à priori justes pour la plupart même si elles sont souvent discutées. Valables pour tous, à priori encore. Elles n’en restent pas moins qu’arbitrairement posées par une figure d’autorité qui surveille le bon respect de ces dernières, soit par un collectif inconscient, soit par une figure prédominante, le maitre du jeu.
Jeu et apprentissage de la socialisation
On peut décider de suivre les règles ou de tricher. Si on triche, on risque l’exclusion, si on refuse les règles, on risque la même sentence : on se marginalise. Mais quand ça fonctionne, quand le jeu correspond à ce à quoi on a envie de jouer que ce soit sur un mode coopératif ou compétitif, alors il devient magique de jouer, de partager nos jeux…
Le jeu permet de se sentir appartenir à un groupe. En suivant des mêmes règles, nous serions (normalement) tous égaux. Un groupe est un groupe parce qu’il se reconnaît autour de mêmes normes, et donc, de mêmes règles avec en général un objectif en commun.
Le jeu a ce pouvoir d’apprendre à suivre des règles et donc à vivre en groupe. L’enfant qui apprend la socialisation dès son plus jeune âge aura plus de facilité à vivre en groupe. C’est notamment le rôle de l’école à partir de 3 ans (voir 2 ans et demi pour certains) mais aussi ce que permettent les crèches avant l’école.
Le jeu permet donc d’une part d’exister dans un groupe. N’oublions pas que l’homme est un animal grégaire. Et d’autres part, le jeu permet aussi, de retirer le masque social de l’individu. C’est-à-dire, que le jeu va permettre à l’individu de se dévoiler auprès des autres joueurs en se prêtant au jeu.
Enfants et adultes, nous jouons :
Petits donc nous jouons, puis nous devenons plus grands, nos jeux changent, les jouets deviennent plus gros, et aujourd’hui même nous jouons sur de la réalité augmentée ou en grandeur nature. Mais nous continuons à prendre du plaisir dans des activités ludiques et sans finalité de production ou presque… On remplace, adultes, ces jeux par « des activités » parce que le mot fait plus sérieux mais, néanmoins oui au club de sport, en soirée, devant un piano ou sur une scène de théâtre nous jouons encore, et nous donnons à voir ou à étendre ce que nous jouons à l’instar de ce qu’on appelle les streamers pour le jeu vidéo. Malgré tout, un adulte qui joue est un adulte qui inquiète alors qu’un enfant qui ne joue pas est un enfant qui ne va pas bien. L’individu mute-t-il à ce point au cours de son existence ? Jouer ou non serait alors devenu malgré nous le baromètre de nos épanouissements et de notre santé mentale ?
Le jeu vidéo, un jeu comme un autre
Séverine nous le rappel “Le jeu vidéo est apparu avec note génération nous les quadragénaires, et nous sommes la première génération de parents à avoir eu une manette dans les mains. J’ai un souvenir vague de ce qu’on qualifiait les « gamers » de l’époque. On nous appelait les « no-life ». on nous disait « tu ne feras rien de ta vie », « tu vas devenir folle »… Mince, à l’époque, je jouais sur TO7 à un jeu d’aventure qui s’appelait Aigle d’Or sur cassettes à bande magnétique, un quart d’heure de chargement de page pour deux secondes de jeu. Cela m’aura appris la patience. D’ailleurs, Papa, maman vous aviez raison j’ai du rater un truc parce que j’ai fini psy et je suis en train d’expliquer à des adultes qui ont suffisamment gardés leurs âmes d’enfants pour êre ici aujourd’hui qu’ils ont bien raison de jouer encore et d’emmener leurs enfants découvrir d’autres jeux encore et encore…”
Le profil des joueurs en France aujourd’hui
Ce petit récapitulatif d’un article paru en novembre reprend les pratiques culturelles des français et nous permet d’affirmer cette idée que les joueurs de jeux vidéo d’aujourd’hui sont les même que ceux ayant grandis avec le jeu vidéo dans les années 1980.
Le jeu vidéo est devenu, avec sa démocratisation, pour l’enfant qui va vers l’adolescence, une des premières pratiques émancipatrices du jeune individu. On va ainsi du jeu en famille vers un cercle social qui s’élargit vers l’extérieur. On s’éloigne de notre premier groupe social vers le second groupe. C’est-à-dire, en gros, que l’on passe du cercle familial à ce qui deviendra le cercle des amis.
Le Jeu vidéo, le mal de notre société?
Le jeu vidéo a été accusé de tous les maux de la société. Il rendrait violent, addict, poserait des troubles de la personnalité, créerait des monstres. « Une tuerie en Alabama, bah oui, mais le mec jouait à Call of Duty ! Il s’est embarqué dans le djihadisme, ok mais il jouait à Assassin’s, il a fait un braquage, bah oui mais ça c’est la faute à GTA, il a fait un excès de vitesse… Oh attention à 10 ans, il a été surpris en train de faire une partie de Mario Kart avec son voisin, et d’ailleurs qu’est-ce qu’il est devenu ce voisin ? Hein ? » Ahhh voilà l’explication est donc là…. Dans les faits, nous observons que de plus en plus le jeu vidéo sert aux remédiations cognitives, aide au bon développement de l’enfant, de plus en plus il devient support pédagogique et culturel. Le numérique a une part de plus en plus belle dans l’éducation nationale.
De plus en plus, nos enfants jouent et de plus en plus notre génération redécouvre à travers ce support le plaisir perdu de jouer. C’est à un tel point où les casques de VR, les escapes games et les autres jeux de rôle et grandeurs nature ont de plus en plus de succès auprès de tous, toutes générations confondues. De plus en dehors du retrogaming certaines consoles nous invitent un peu plus au jouer ensemble, je pense à la Switch par exemple qui se partage facilement sur les écrans de TV familiale.
Nous avons aujourd’hui, adultes, le droit de jouer même au sein de nos entreprises. C’est entendu et pourtant nous complexons encore toujours autant à évoquer le fait que dans l’intimité de nos maisons nous continuons de jouer. Séverine le souligne “Je suis psy, je joue, j’ai évolué ces dernières années dans les deux environnements en prenant grand soin de ne jamais les confondre tout en les associant toujours. Je crois que j’aurai pu finir schizophrène si j’avais continué ainsi. Trahir une partie de soi, n’est jamais bon pour le matériel psychique, il amène à une transformation durable de ce dernier.” Alors jouez, assumez cette part de vous !
Le retour du rétrogaming, une madeleine de Proust
Preuve en est que nous jouons tous : le succès du Retrogaming. C’est d’ailleurs ce même désir de partage et de découverte ou redécouverte qui se joue avec la pratique du rétrogaming. Apparu il y a une dizaine d’année, le retrogaming est la pratique des jeux passés (rétro). Vous ressortez votre cartouche de Tétris quand vous êtes aux toilettes ? Vous pratiquez le rétrogaming. Vous rejouez à votre console d’enfance à chaque fois que vous rentrez chez vos parents ? Vous pratiquez le rétrogaming. Vous achetez la remasterisation d’un jeu ou d’une console que vous aviez adoré plus jeune ? Ce n’est pas du rétrogaming. Mais, on peut tout de même faire un lien entre la pratique du rétrogaming et la commercialisation de ces fantômes du passé.
Il faut se rendre à l’évidence le rétrogaming est un acte qui encourage le partage intergénérationnel autour du jeu. Les parents invitent leurs enfants à découvrir leur madeleine vidéo-ludique à travers les personnages emblématiques comme Mario ou Sonic, et les enfants se les approprient et en tirent un grand plaisir qu’ils partageront eux même en famille.
Ce que je peux affirmer aujourd’hui c’est qu’un adulte qui joue tout comme un enfant qui joue n’est pas un individu malade, cela n’a jamais été le cas alors pourquoi nous inquiétons nous ?
Dis moi, aujourd’hui à quoi on joue ?
Quand je pose la question aux parents qui m’amènent leurs enfants en consultation de savoir « à quoi jouent vos enfants quand ils ont une manette à la main ? Neuf fois sur dix ils n’en savent rien.
Le S.E.L.L. a fait paraître une étude reprenant les chiffres de l’industrie du jeu vidéo avec notamment plusieurs Top des jeux les plus vendus en France. Sur Mobile, Mario Kart et Minecraft sont en tête du classement (jeux gratuits et jeux payants). Sur Pc, les Sims 4, Farming Simulator 19 et Fifa 20 sont en tête du classement. Et sur console, nous retrouvons Fifa 20, Call Of Duty: Modern Warfare et Mario Kart 8.
Jeux vidéo et prévention
En terme de prévention,, on me pose souvent les mêmes questions. Doit-on interdire ? Doit-on culpabiliser de le faire ? Peut-on laisser seul son enfant devant un écran ? Tablette ou TV quel est le plus dangereux ? La surexposition aux écrans est-elle dangereuse ? il y-a-t-il des précautions à prendre en terme de temporalité ? L’immersion dans le virtuel c’est risqué ? Peut-on éduquer à l’appréhension des écrans ? Autant de questions actuelles que, nous, adultes, devons-nous poser pour garantir une meilleure utilisation des écrans.
Le jeu vidéo est en lien avec les nouvelles technologies, depuis toujours on a voulu jouer avec les nouvelles technologies, on s’amuse à créer des choses en lien avec nos pratiques et c’est comme ça que le jeu vidéo avance aujourd’hui. Petit cœur, cœur, cœur, sur les indépendants qui essayent de sortir des sentiers battus des triples AAA et autres grands noms de l’industrie pour exister mais qui proposent des expériences vidéo-ludiques enrichissantes et créatives.