Les adultes ayant connu les 80 et 90 ont grandi avec plusieurs animés japonais issus de mangas. A côté de Nicky Larson (City Hunter), Olive et Tom (Captain Tsubasa), Ken le survivant (Hokuto no Ken) ou encore Dragon Ball, ce sont les Chevaliers du Zodiaque, connus au Japon sous le titre de Saint Seiya, qui avaient une place de choix nos mercredis après-midi. L’année 2019 aura été l’occasion d’un come-back plutôt raté sur Netflix et d’un ouvrage un peu hors-sujet. Attardons-nous un moment sur l’histoire et les personnages originaux.
Table des matières
L’adolescent masculin
Saint Seiya est un manga de Masami Kurumada sorti en 1986, dont la version animée était diffusée en France dans le Club Dorothée à partir de 1988 sous le nom de Chevaliers du Zodiaque. Ce manga raconte l’histoire de cinq adolescents en armures, les chevaliers de bronze, qui se battent pour protéger Saori Kido, réincarnation de la déesse Athéna. En réalité, la déesse n’a pas moins de 88 chevaliers pour la protéger, répartis entre les catégories de bronze, argent et or. A chaque chevalier correspond une constellation. Naturellement, l’intrigue fait que la déesse est perpétuellement menacée et que nos cinq valeureux « saints » courent (au sens propre comme au figuré) à sa rescousse.
Alors, quelles sont les raisons de cet énorme succès ? Force est de constater que cette série suit, de prime abord les normes des mangas, les personnages étant globalement assez stéréotypés et leurs émotions et comportements extrêmes en permanence. Ce manga suit le positionnement de l’adolescent masculin qui passe de l’enfance à l’âge adulte. Tout un groupe d’orphelins est envoyé aux quatre coins du globe par Mitsumasa Kido, père de Saori, pour s’entrainer et revenir en possession d’une des armures du zodiaque.
Cette première étape renvoi au début de l’adolescence. L’émergence de la puberté entraîne de profonds changements corporels. L’adolescent se retrouve donc dans une forme corporelle temporaire, le corps d’enfant n’existant plus et celui de l’adulte étant encore en construction. La psychanalyste Françoise Dolto comparait les adolescents aux homards qui, lorsqu’ils perdent leurs carapaces, se retrouvent temporairement en insécurité. Les armures des chevaliers font donc office de nouvelles carapaces qui donnent momentanément un statut à l’adolescent, récemment entré dans la génitalité.
Cependant, les jeunes chevaliers de bronze ne sont pas encore arrivés au statut d’adulte, symbolisé ici par la conquête de l’armure d’or, la première promesse de la déesse Athéna. En effet, le costume, l’uniforme ou encore l’armure donnent une dimension phallique, toute puissante au corps. Les jeunes équipés de bronze convoitent donc l’armure phallique par excellence, l’armure d’or qu’ils finiront par endosser. Dans un premier temps, ils auront celles de leurs pères symboliques (Aiolos, Dohko et Camus) avant d’avoir, lors du passage de l’arc de Poséidon, leurs propres armures passant du bronze à l’or, ce qui n’est pas sans rappeler les rites adolescentaires et les changements d’état.
La déesse, symbole parentale
Il est également à noter que les personnages de rois et reines, ou encore de Dieux et Déesses, sont en psychanalyse les symboles des parents, sexuellement inaccessibles. Dans les contes de fées, c’est la princesse que le prince atteindra, et ils auront alors à leur tour le statut de rois et reines. Ainsi, Saori est considérée par les cinq adolescents comme ce que la psychanalyse appelle LA femme, celle qui est parfaite et donc inexistante. De ce fait, il n’y a dans ce manga quasiment aucune romance, contrairement à Dragon Ball, Ranma ½ ou Nicky Larson où les scènes grivoises sont bien plus fréquentes. Même si Shiryu est en couple avec Shunreï, même si on soupçonne parfois que la relation entre Seiya et Saori pourrait être plus concrète, cela reste symbolique, sans passage à l’acte. Seule exception plus flagrante, le long métrage Les Guerriers d’Abel qui met en scène dès le début du film tous les symboles d’une séduction incestueuse entre Saori et son frère Abel.
Le père tyrannique
Le Grand Pope fait, dans la série, office de père tyrannique tout puissant, que les jeunes vont tenter de déchoir de sa place en s’alliant. La course contre la montre des douze palais démarre d’ailleurs sur une panique générale lorsque Saori prend une flèche en plein cœur, objet long, dur et pointu qui pénètre dans son corps. Pas besoin de développer la symbolique, n’est-ce pas ? A l’adolescence, le jeune se rend compte que ses parents ne sont pas tout puissants, qu’ils ne sont que de simples humains avec leurs manques, leurs faiblesses, c’est la chute des idéaux parentaux. C’est exactement ce qui se passe lorsque Seiya et sa bande, après avoir découvert la puissance phallique de l’adulte, ici nommée septième sens, se rendent compte que le tout puissant Grand Pope n’est en réalité que Saga des gémeaux, un chevalier d’or comme un autre qui a usurpé la place du véritable pope.
La place de la femme
Contrairement aux films, contes et jeux vidéo de cette époque, les stéréotypes de la place de l’homme et de la femme étaient déjà bien déconstruits. En effet, on se rend compte certes tardivement avec la saison d’Hadès, que la pauvre déesse en détresse peut tout à fait se débrouiller seule. Idem, les combattantes féminines ont une place dans la chevalerie, mais elles doivent être masquées, symbole du fait que leur féminité devrait être cachée.
Plus intéressant, le personnage de Shun brise complètement les codes des bad boys virils à souhait de l’époque. Portant l’armure rose d’Andromède, sensible et n’aimant pas se battre, il a une place centrale parmi les chevaliers, qui devient prépondérante pendant la saison d’Hadès.
Et c’est précisément là que Netflix a lamentablement échoué dans sa tentative de proposer une série sur Saint Seiya en juillet 2019. Passons sur le visuel digne d’une introduction de jeux vidéo de 2004, tout le monde pourra constater l’étendu des dégâts. Non, le problème, c’est qu’en essayant d’innover et de promouvoir la place de la femme dans la série, ils ont transformé Shun en femme. Le message est donc qu’un homme ne peut pas être sensible, non violent et s’habiller en rose. Sacré retour en arrière dans les mentalités. N’importe quel autre choix eut été meilleur : donner un rôle plus important à Shina ou Marine, remplacer un des cinq autres chevaliers de bronze secondaires par un nouveau personnage, même le choix de changer Milo en femme dans le film de 2014 serait mieux passé.
Passons finalement sur le fait que les chevaliers affrontent des militaires pour achever la dimension mythologique de l’œuvre originale et définitivement enterrer cette version Netflix.
Coaching de cosmos ?
Dernière étrangeté parue en septembre 2019 : Agir et penser comme un chevalier du zodiaque d’Alexandre Goube, dont une rapide recherche sur Google ne me donne pas la profession. Ayant reçu le livre sans m’être renseigné avant, je m’attendais à une analyse du manga ressemblant à celle que vous venez de lire ici. Malheureusement, il s’agit ici d’un simple ouvrage de coaching proposant tous les poncifs sur le sujet. Ainsi, vous devriez avoir des objectifs, des amis, rester calme, vous entraîner etc. Et chacun de ces conseils et mit en lien avec un moment clé des Chevaliers du Zodiaque. Effectivement, les anecdotes et références au manga sont très recherchées, et cela fait du bien de se remémorer ces souvenirs, mais c’est loin, très loin d’en faire un excellent ouvrage.
Saint Seiya / les Chevaliers du Zodiaque reste un monument du manga et de l’animé, je vous conseille donc de délaisser Netflix et ce livre pour découvrir ou revoir les premières versions de l’animé, à l’aune de cet éclairage psychologique.
Ping : 40 ans de Dragon Ball : psychologie des saiyans. - PSYCHE CLIC