Mars 1988, le jeune garçon que j’étais découvre, émerveillé, le premier épisode de Dragon Ball. L’animation japonaise entrait alors dans la culture française, avec des noms aussi connus que Les chevaliers du zodiaque (Saint Seiya), Ken le survivant (Hokuto no Ken) ou encore Nicky Larson (City Hunter). Les aventures du jeune Son Goku ont marqué plusieurs générations et, fort de son succès, reviennent ce 11 octobre simultanément en jeu vidéo et en série.
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Un récit asiatique
Dragon Ball est à la base un manga créé par le regretté Akira Toriyama, librement inspiré du conte chinois La pérégrination vers l’Ouest. L’histoire commence avec le jeune Goku, vivant coupé du monde en pleine forêt, qui rencontre Bulma. La citadine convainc l’étrange garçon à la queue de singe de partir en quête de 7 boules de cristal avec elle.
Les contes occidentaux suivent très souvent une trame commune nommée monomythe, une théorie qu’on doit à Joseph Campbell dans Le héros au mille et un visages. Les récits asiatiques, quant à eux, peuvent parfois s’en éloigner. Goku est le héros de Dragon Ball et de ses suites, il représente l’adolescent qui part en quête. Alors qu’un héros est généralement accompagné d’un acolyte drôle (l’âne de Shrek, Ron Weasley ou C-3PO), l’innocence et le côté comique de Goku en font simultanément le héros et le personnage humoristique. Son duo avec Bulma s’étendra rapidement à d’autres protagonistes, notamment Krillin en tant qu’acolyte, et Tortue Géniale comme premier mentor.
Pourtant, contrairement aux autres contes, le personnage de Goku qui grandit en taille et en puissance, se marie, a des enfants et même un travail dans Dragon Ball Super, garde son côté enfantin. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en version originale, c’est une femme, Masako Nozawa, qui le double de l’enfance à l’âge adulte, comme pour appuyer sa non-évolution. En France, c’est Brigitte Lecordier, célèbre pour ses nombreux doublages, qui a prêté sa voix à Goku enfant, avant de céder sa place à des doubleurs masculins pour les versions plus âgées du personnage.
Symbole de l’enfance, transformation adolescente
Goku incarne en effet une immaturité affective quasi permanente, négligeant sa vie familiale pour se consacrer en permanence à son perfectionnement en art martiaux. Il ignore d’ailleurs pendant de nombreuses années qu’il n’est pas humain, mais fait partie d’une race nommée saiyan. Ses parents l’ont envoyé sur Terre avant la destruction de leur planète, un destin rappelant celui du kryptonien aux supers pouvoirs de chez DC comics. Les saiyans sont un peuple agressif et cruel, mais cette composante a complètement disparue chez Goku après un traumatisme crânien ayant entrainé une amnésie.
Goku est le symbole par excellence de l’enfance, ce qui a sans doute favorisé son adoption par le public. Véritable stéréotype d’un éternel enfant à la manière de Peter Pan, il acquière pourtant une prétendue toute-puissance que la psychanalyse nommerait « phallique ». Celle-ci lui est constamment contestée par des ennemis de plus en plus forts. Cette toute puissance prendra la forme de transformations physiques, symbolisant les mutations rencontrées par l’adolescent au moment de la puberté. Ces changements prennent la forme de nouvelles couleurs de cheveux, passant d’abord au doré au début, puis plus récemment à d’autres couleurs (rouge, bleue, argentée).
Il est intéressant de constater que cette surenchère de puissance a pu lasser une partie des fans, incitant les auteurs de Dragon Ball GT à rajeunir Goku pour retrouver l’esprit du début de la série. Cette suite a souvent été critiquée, malgré plusieurs bonnes idées. La nouvelle série Dragon Ball Daima reprend cette idée de rajeunissement : le succès sera-t-il au rendez-vous ? Le premier épisode, qui fait office d’exposition, a l’air de lancer la série sur de bonnes bases.
Pulsion agressive et changements de clan
Les transformations ne sont pas uniquement réservées à Goku, mais concernent la majorité des personnages non humains, comme Vegeta. Si Goku symbolise la pureté, le public découvre avec ce guerrier la violence, l’agressivité voire la cruauté propre à son peuple. Contrairement à l’amnésie de Goku, Vegeta se souvient de ses origines et semble encore meurtri par le génocide de son peuple par Freezer. Sa jalousie envers Goku lui sert de moteur pour se surpasser, mais indique une profonde insécurité psychique mal dissimulée par son agressivité.
Sur le plan symbolique, Vegeta incarne les pulsions agressives du jeune enfant bien plus que tous les précédents adversaires du manga. Comme les autres personnages, il évolue au fil des transformations, symbolique de la puberté, pour s’apaiser et s’allier avec les Terriens, allant jusqu’à avoir deux enfants avec Bulma.
Car une des caractéristiques omniprésentes dans ce récit, c’est le retournement des personnages, qui passent souvent d’antagonistes à alliés. Comme le rappelait Jérémie Gallen dans son ouvrage, les personnages étaient autrefois divisés de façon binaires : gentils VS méchants. Cela afin de favoriser le fait de les appréhender comme les deux faces pulsionnelles d’une même pièce. Aujourd’hui, les positionnements ont gagné en subtilité, les personnages en ambivalence, et c’est le cas dans l’univers de Dragon Ball.
Même le démoniaque Piccolo, originaire de la planète Namek, devient à tel point partie prenante du groupe de héros qu’il incarne littéralement un père de substitution pour le jeune Gohan après le (premier) décès de Goku lors du combat contre son frère saiyan. Ce mentor guide Gohan lors de son entrainement pourtant cruel. Un fort attachement nait entre les deux personnages suite à cette période.
En revanche, certains personnages, comme Freezer et Cell, ne quittent quasiment jamais leur rôle de méchants.
Véritable incarnation du père tyrannique tout puissant de la horde selon Sigmund Freud (Totem et tabou), Freezer est fort, cruel, et dénué d’empathie. Son seul objectif semble la destruction. Ses différentes transformations n’altèrent en rien sa nature profonde, il termine même par une forme visuellement plus enfantine que les précédentes. Ce sera son meurtre de Krillin, sous les yeux de Goku, qui sera à l’origine d’une des plus spectaculaires colères du guerrier, qui aboutira à sa première transformation. Le guerrier à chevelure dorée détruira alors le père tyrannique.
Freezer refera une apparition dans Dragon Ball Super, et s’alliera avec son équipe, mais uniquement par opportunisme.
Deuil et déni
Un élément particulièrement représentatif du récit et son déni de la mort. La mort est, en psychanalyse, hors de la chaine signifiante, dans le sens où elle ne peut pas être représentée directement par le langage. Tous les humains tentent de la penser en l’entourant de symboliques idéologiques, qu’elles soient théistes ou pas, sans jamais vraiment y parvenir complètement.
Dans Dragon Ball, comme dans d’autres univers de fiction, la mort n’a pas à être acceptée. D’une part les personnages décédés continuent de vivre dans l’au-delà, prennent le repas chez Kaïo après l’entrainement, voire communiquent directement avec les vivants. D’autre part, la résurrection, pilier de la croyance catholique, est ici utilisée à tour de bras par Shenron, dragon créé par le « tout puissant ». Ainsi, le deuil est constamment dénié, la mort n’étant dans cet univers que temporaire.
Une représentation ambivalente de la femme.
La représentation des femmes dans les mangas varie selon le style d’œuvre et le public de destination. Il existe différents genres de mangas, comme les shōjo (pour adolescentes), seinen (pour hommes adultes), ou encore les shōnen, principalement destiné à un public adolescent masculin, dont Dragon Ball est un digne représentant.
Pourtant, la place de la femme est ambivalente. Bulma est d’abord un objet de désir sexuel pour Tortue Géniale, plusieurs fois centenaire, malgré le fait que la jeune fille soit explicitement présentée comme mineure. Le consentement n’est que peu recherché, le maitre cherchant à attoucher des jeunes filles à de nombreuses reprises. Ces attitudes déplacées sont aujourd’hui inacceptables, alors que la mentalité des années 80 était plus tolérante envers ce genre de comportements déviants, qui se voulaient même comiques.
Ainsi, la reprise de la série avec Dragon Ball Super a été l’objet de polémique pour des agressions sexuelles commises par le personnage, ce qui lui a valu d’être censurée dans certains pays.
Cependant, Bulma est souvent présentée comme une femme souvent forte, intelligente, voire ayant parfois un tempérament de leader. Ainsi, la place d’objet sexuel du début est rapidement mise de côté, pour avoir un rôle prépondérant dans l’équipe, elle fait elle-même partie de l’expédition vers Namek.
On retrouve également d’autre profils de femmes fortes, comme Videl, fille d’Hercule et femme de Gohan, ou encore C-18, une cyborg créée par le Docteur Gero, devenue humaine et alliée des héros par le vœu de son futur mari Krillin.
A noter le personnage de Chichi, femme de Goku, qui symbolise la femme dominatrice et castratrice, et dont la façon de traiter son mari évitant frôle fréquemment la maltraitance.
Enfin, il aura malgré tout fallu attendre 2017 pour voir les premières femmes « super-guerrières » avec Kale et Caulifla (Dragon Ball Super). Nous pouvons nous demander quelle place la nouvelle série fera aux figures féminines. Pour l’instant, un nouveau personnage féminin apparait dans le premier épisode, qui semble avoir un rôle important dans l’intrigue.
Impact sur la pop culture
Ce serait une banalité de dire que Dragon Ball a fortement influencé la pop culture, tant il en a posé les bases, du moins en Europe et aux Etats-Unis. Les spectateurs des décennies 80, 90 et les suivantes ont tous mimé un kamehameha ou le geste de la téléportation dans la cour de récréation. Dragon Ball a joué un rôle important dans l’émergence de mangas à succès comme One Piece et Naruto.
La série a également fortement marqué dans le monde du jeu vidéo. Des anciens jeux de rôle sur Famicom qui ne sont pas sortis du Japon, je me souviens notamment d’après-midi de jeux en sortant du collège sur Dragon Ball Z la légende Saien sur Super Nintendo, et son légendaire combat de boules de feu en appuyant frénétiquement sur le bouton A.
Pour d’autres, ce sera la série des Budokai Tenkaichi qui fait rentrer les combats dans une nouvelle dimension. Le succès sera tel que le 4ème opus, Dragon Ball Sparking Zero vient de sortir.
Citons notamment d’autres jeux comme le RPG Dragon Ball Kakarott, ou le jeu de combat 2D Dragon Ball Fighter Z. Les saiyens ont même fait une brève incursion chez Fortnite.
Nous avons grandi avec les aventures de Goku et, même si elles n’échappent pas à une logique mercantile, il est fort à parier que son héritage nous accompagne encore pendant de longues années.
Pour aller plus loin :
Voir Dragon Ball Daima sur Crunchyroll
Voir Dragon Ball Daima sur ADN
Site officiel Dragon Ball Daima