Sharenting : exposer ses enfants sur Internet, est-ce sans risque ?

Sharenting

Rentrée des classes, anniversaires, Noël, vacances, toutes les occasions sont bonnes : sans trop réfléchir aux conséquences de cet acte, certains parents publient des photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Adolescents, enfants, nourrissons … même fœtus, en échographie. Cette pratique, nommée « sharenting » (share : partager, parenting : le fait d’être parent), est tout sauf un acte anodin.

(article mis à jour en février 2024)

Un phénomène très présent

Concrètement, l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique nous apprend qu’en 2023, 53% des parents ont déjà partagé du contenu relatif à leurs enfants.

Parallèlement, le groupe allemand Deutsche Telecom a sorti en 2023 le spot « Share with care » (en anglais) pour prévenir des risques du sharenting. Basé sur la technologie deepfake, il est volontairement très accès sur l’émotionnel (le pathos en rhétorique), mais a le mérite d’interpeller.

On a souvent parlé du danger des prédateurs sexuels sur Internet. En effet, la photo du petit dernier postée la semaine dernière a été vue par bien plus de personnes que les parents ne l’imaginent. Impossible ? Vous-même, avez-vous récemment réglé vos paramètres de confidentialité sur Facebook, Instagram, Tiktok etc. ? Une question primordiale quand il s’agit de la vie privée.

Cependant, relativisons. Même si effectivement, une photo (surtout géolocalisée) et un post permettent d’identifier une personne, son école, son domicile etc., le risque de passage à l’acte n’est pas très élevé par ce biais. Les prédateurs préfèrent rencontrer plutôt virtuellement leurs victimes dans un premier temps, notamment dans les jeux vidéo (comme Fornite, Roblox etc.) ou messageries à la mode, avant de leur donner rendez-vous dans la réalité. En revanche, certains clichés de vos enfants se retrouvent effectivement sur des sites regroupant ce genre de prédateurs.

Sharenting - Psycheclic, avec Stable Diffusion XL
Sharenting – Psycheclic, avec Stable Diffusion XL

Droit à l’image et consentement

La question est cependant plus globale. On est en droit de se demander en 2024 ce qu’il reste du droit à l’image, tant l’exhibition de tout un chacun est devenue monnaie courante. Mais pourtant, il existe toujours :

« Le droit à l’image permet d’autoriser ou de refuser la reproduction et la diffusion publique de votre image.

Par ailleurs le droit au respect de votre vie privée permet d’autoriser ou de refuser la divulgation d’informations concernant votre vie privée. » (en savoir plus)

Une loi a été adoptée en octobre 2020, pour protéger les droits des mineurs « influenceurs », mais c’est surtout la loi du 17 février 2024 qui vise à garantir et renforcer les notions de vie privée et de droit à l’image.

Chacun et chacune a le droit de décider de ce qu’il veut faire de son image, et de l’image de son corps. Car oui, si on élève les enfants dans les principes de respect de son corps et de celui d’autrui, et donc de la notion de consentement, l’image de votre enfant en fait partie. « Personne ne peut toucher ton corps … par contre l’image de celui-ci m’appartient et j’en fais ce que bon me semble ! ». Formulé ainsi, le paradoxe éducatif saute sans doute un peu plus aux yeux.

L’enfant ne devrait donc apparaître en photo sur les réseaux sociaux que lorsqu’il donne son accord à ce sujet, en en comprenant les principes et ceux d’Internet plus généralement, ce que, par ailleurs, certains adultes ne maîtrisent pas toujours. Saviez-vous par exemple que les photos envoyées sur les réseaux sociaux deviennent la propriété de l’entreprise en question (comme Meta) ?

Combien de parents qui postent des photos de leurs enfants leur demandent leur avis avant de le faire ? Selon une étude de McAffee de 2018, « 34 % des parents considèrent qu’ils ont le droit d’afficher des photos sans le consentement de leur enfant. » Est-ce que ce seront les mêmes parents qui viendront s’insurger quand l’enfant devenu.e adolescent.e échangera sans y réfléchir des photos de son intimité à son.a petit.e ami.e, photos qui feront le tour de la toile en une fraction de seconde ? Cela a beau être une extrapolation, la logique de diffusion d’images personnelles est pourtant la même : quelque chose d’anodin et appartenant à tous, là où ça n’aurait pu/dû rester privé. Ce genre de phénomène est un terreau incroyablement fertile pour le harcèlement, dont l’issue peut malheureusement être parfois fatale.

L’autre question est ici celle de l’identité numérique. En arrivant à l’âge d’utiliser et comprendre réellement le principe du réseau Internet, un enfant aura déjà, majoritairement, des centaines voire des milliers de photos et publications le concernant, qu’il alimentera probablement en suivant le modèle parental. Qui sait ce qu’il adviendra du jeune adulte postulant à un emploi, notamment à responsabilités, si des clichés gênants voire humiliants sont retrouvés des années plus tard ? Car oui, sur Internet, le droit à l’oubli est encore malheureusement une belle utopie.

Alors qu’en réalité, passées les premières photos, la majorité de vos « amis » numériques ne se soucient guère de voir votre enfant sur son pot ou mangeant sa bouillie.

Sharenting - Psycheclic, avec Stable Diffusion XL
Sharenting – Psycheclic, avec Stable Diffusion XL

Objectalisation et pulsion scopique

Enfin, on peut se demander quel est le rôle de ce phénomène pour les parents. Le vrai rôle, inconscient, pas celui de partager des photos aux autres membres de la famille. Car en effet, il existe e nombreux outils privés pour partager ses photos : du bon vieil e-mail, aux groupes privés entre proches sur une application de messagerie telle que Whatsapp.

Non, inconsciemment, les réseaux sociaux sont le paradis de la pulsion scopique : on s’exhibe et on voit. Les « likes » sont utilisés par les utilisateurs comme un réétayage narcissique, pour remplir leur besoin de reconnaissance : « voilà ma photo, dites-moi que je suis beau.elle, aimez-moi ! » S’objectaliser soi-même, à minima, ce peut être un choix, certes assez courant, qui n’engage que celui ou celle qui le fait. Mais quand on poste des photos de ses chérubins, c’est ici le corps de l’enfant qui est utilisé comme un objet de la jouissance parentale : l’enfant n’est qu’un faire-valoir, comme un vêtement ou une nouvelle coupe de cheveux.

Il semble donc que, si l’éducation consiste à faire advenir l’enfant en tant que sujet, ce phénomène fait exactement l’inverse.

 

Quelques conseils

Vous souhaitez peut-être modifier votre comportement, vous qui avez déjà publié des photos de vos enfants ? Voici quelques conseils pratiques :

Il faudra d’abord accepter d’avoir un comportement différent de la majorité, et la culpabilisation tacite (ou pas) de l’entourage qui « veut voir » : oui, les autres le font, pas (plus) moi.

Vos photos, vous pouvez les stocker sur votre ordinateur ou smartphone, une clé USB, un service de stockage sécurisé (cloud/ drive), ou partagez-les par mail ou messagerie privé à vos proches.

Vous avez du mal à ne poster aucune photo de vos enfants sur les réseaux sociaux ? Soit, dans un premier temps, limitez le nombre de publications, et préférez les photos de dos ou de loin au gros plan visage et aux photos en maillot, dénudés (le fameux premier bain du nourrissons) ou potentiellement gênantes une fois adultes (sur le pot, maculés de purée etc.)

Dans tous les cas, discutez avec vos enfants, s’ils sont en âge de comprendre ce qu’est Internet, afin de savoir s’ils sont d’accord avec cette pratique. S’ils valident, sensibilisez-les au droit à l’image. Faites le tour de ce qui est en ligne pour voir s’ils sont d’accord sur tout. S’ils refusent qu’une photo y soit, supprimez-la. S’ils refusent d’être en ligne ou ne sont pas en âge de comprendre, l’idéal serait donc de tout supprimer.

Ensuite, signalez à votre entourage que vous ne souhaitez plus voir de photos de vos enfants (prises par d’autres membres de la famille) sur les réseaux sociaux. Si, malgré cette demande, certains proches continuent de le faire, et ne suppriment pas les clichés lorsque vous le demandez, le dernier recours est de signaler la photo directement au site en question.

De plus, cette responsabilisation passe par le fait de faire circuler le message : vous ne pouvez naturellement empêcher aucun parent de diffuser des photos de leurs enfants, mais vous pouvez ne pas valider cette demande narcissique : ne « likez » tout simplement aucun des posts présentant des photos d’enfants diffusées par les parents.

Enfin, si cela vous tente, partagez cet article, pour faire réfléchir les utilisateurs à leur pratique.

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