Qu’est ce qu’être un gamer ?

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Nous avons vu que la culture geek est une culture s’intéressant aux mondes imaginaires, aux technologies et à certaines sciences. Nous avons aussi observé l’évolution de cette subculture depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui et nous avons abordé les différentes étapes de légitimation identitaire affiliée aux geeks. (Voir Geek or not to geek ? ). 

Aujourd’hui, la figure du gamer n’est plus ce qu’elle était, les médias et autres institutions nous affirment que nous sommes presque tous des joueurs. Le sens même de gamer n’est pas clair : sont-ils simplement des joueurs de jeux vidéo ? 

Nous allons interroger cette question d’identité et de communauté pour comprendre qui sont les gamers. 

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Authenticité et identité 

David Peyron dans un article intitulé “Qu’est ce que l’identité gamer?” nous propose des pistes de réflexion. Il propose de commencer ce questionnement, par la question de ce qu’est un authentique gamer. Il part de ce concept d’authenticité pour faire lien avec les attentes des joueurs d’aujourd’hui et de ce que devrait être un vrai gamer, un joueur de la communauté.

Nous partons donc du principe qu’il y aurait une communauté de gamer. 

L’authenticité serait un facteur d’identité du gamer. Ce qu’est un “vrai gamer” fait écho à chacun de nous, nous nous imaginons tous ce qu’est un gamer dans nos imaginaires faisant fleurir les clichés et une certaine vision sociale du geek. Le gamer, dans les imaginaires, serait un jeune homme, adolescent, peu sociable, préférant jouer à des jeux vidéo que faire du sport. Mais heureusement, les études récentes déconstruisent ce cliché. Nous n’avons qu’à rappeler les données de l’enquête du S.E.L.L. qui chaque année fait un portrait des français et du jeu vidéo pour nous rappeler que 53% des français jouent au moins une fois par semaine aux jeux vidéo. La moyenne d’âge des joueurs de jeux vidéo est de 38 ans avec 53% de joueurs pour 47% de joueuses. 

Nous parlons de joueurs de jeux vidéo, mais est ce que tous les joueurs de jeux vidéo sont des gamers? Non. Les travaux sur les communautés rappellent qu’il y a cet enjeu d’identité à prendre en compte pour être vu comme faisant partie de ladite communauté. En l’occurrence, si les séniors sont 17% des joueurs de jeux vidéo, ils sont des joueurs casuals jouant sur des supports spécifiques (mobiles, tablettes, ordinateur) à des jeux casuals. Jamais il ne vous viendrait à l’idée de comparer vos grands parents à des gamers. 

La notion de gamer est associée à des critères comme celui d’une pratique spécifique du jeu vidéo et à d’autres attributs comme la recherche d’une authenticité, la pratique intense du jeu vidéo et la volonté d’une revendication identitaire.

Les critères pour être un gamer : temps de jeux, supports et genres

 

Les gamers sont donc des joueurs de jeux vidéo faisant partie d’une communauté. Pour faire partie de la communauté de gamers, il faudrait montrer une forme d’authenticité. Le lien entre authenticité et gamer aurait un rapport au temps.

David Peyron commence son propos en partant d’une étude menée par Adrienne Shaw (2012). 

L’autrice se penche sur l’identification à une culture gamer de minorités (femmes, homosexuels, populations racisées, etc.). Elle note alors un premier fait intéressant : ce ne sont pas forcément celles et ceux qui jouent le plus qui se considèrent comme des gamers. Elle compare différents profils et observe en effet que certains enquêtés, pour qui cette revendication est au cœur de leur définition de soi, jouent quantitativement moins que d’autres, qui pourtant ne se sentent pas légitimes à utiliser cette étiquette pour se qualifier”.

 Il n’y aurait donc pas un “succès à débloquer” pour obtenir le titre de gamer. 

Ce temps passé est une matière première, retravaillée en permanence et croisée avec d’autres données contextuelles ainsi que la représentation que chacun se fait de ce qu’est un ou une « vrai·e » gamer”. (Peyron, 2019)

 

Que faut-il pour être un gamer? 

Il faudrait donc partir de cette idée de représentation de chacun se fait de ce qu’est un ou une « vrai·e » gamer.

Nintendo Game Boy
Nintendo Game Boy

 

Un gamer serait une personne ayant vécu l’histoire du jeu vidéo et pouvant en parler. Il serait donc un joueur de jeux vidéo à une époque où le jeu vidéo n’avait pas encore investi notre société. Il faut avoir joué aux licences les plus connues et valider les “meilleurs jeux”.  N’oublions pas qu’à une époque, les jeux vidéo étaient difficiles à posséder et peu accessibles en raison d’un petit marché et d’une industrie encore en formation.

Aujourd’hui il n’y a plus de barrière pour jouer à un jeu vidéo grâce notamment à la pluralité de supports disponibles pour y jouer. Le rapport au temps est aussi lié à la pratique courante du jeu vidéo. Pour être un gamer, il faut jouer, voir trop jouer quitte à devenir un “no life”. La figure du no life, celui qui n’a plus de vie car passe tout son temps à jouer, est une figure vue comme légitime par rapport à d’autres types de joueur comme le noob ou le casual gamer.

L’anti figure : le noob et le casual gamer

Le noob est un joueur de jeu vidéo vu comme débutant, ne maîtrisant pas les règles et usages d’un jeu et ayant un comportement dit “de noob”. Le casual gamer est un type de joueur jouant à des jeux vidéo vu comme casual et sur des supports dit aussi casual. Les casual game sont des types de jeux vidéo produits pour le grand public et pour les joueurs occasionnels et les supports de jeux casuals sont les supports sur lesquels les jeux casuals sortent le plus souvent (le mobile est le meilleur exemple de ces supports). Le casual gamer est aussi la figure de l’évolution du jeu vidéo comme objet culturel de masses. En somme le casual gamer est le joueur de jeu vidéo qui a une pratique régulière mais n’étant pas considéré comme gamer car jouant à des jeux vu comme non légitime.

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Il ne s’agit pas de jouer aux jeux vidéo pour être un gamer mais de savoir jouer aux bons jeux et d’être reconnu comme un “bon” joueur par les autres. Être traité de noob est une des pires injures qui puisse être dite à un gamer qui préfère de loin l’étiquette du no life passant “trop” de temps sur son jeu vidéo d’affect. Comme le note Bruno Latour (2007), « la définition de tout groupe implique aussi de dresser une liste des anti-groupes » (p. 49). Le noob et le joueur casual sont donc les anti figures du gamer et du nolife eux même les anti figures d’autres modèles comme celui du sportif dans la construction historique de la communauté geek.  

 

Pour conclure, la finalité était de découvrir ce qu’est l’identité gamer. L’objectif n’est pas totalement atteint car nous n’avons trouvé que des pistes de réflexion sur la notion de temps, sur la question de l’authenticité et sur les anti figures permettant à un groupe de s’y référer. La question mériterait d’être poussé pour mieux comprendre ce qu’est un gamer aujourd’hui avec l’évolution du médium même si nous savons maintenant qu’il s’agit d’une question de l’authenticité telle qu’elle est construite socialement en tant qu’attitude et regard sur les jeux vidéo et ses pratiques.

Le gamer est un type de joueur de jeu vidéo jouant à certains jeux reconnus comme étant “les bons jeux”. Cette question d’authenticité est utilisée pour accompagner une reconnaissance du médium. La reconnaissance au sens de validation de l’existence d’une pratique ou d’une identité comme légitime est un élément fondamental de la construction de l’individu. Pour accompagner la reconnaissance du médium, il faut un groupe dans lequel chacun est jugé et dans lequel il existe une autorégulation de ce qui fait que nous nous reconnaissons entre nous. 

Bibliographie

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Peyron D, « Qu’est-ce que l’identité gamer ? Modalités de l’authenticité dans la pratique vidéoludique », Émulations, n° 30, Mise en ligne le 3 septembre 2019. DOI : 10.14428/emulations.030.02 

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Singly F. de (2003), Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin. 

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Ter Minassian H., Boutet M. (2015), « Les jeux vidéo dans les routines quotidiennes », Espace populations sociétés, vol. 1-2. En ligne, consulté le 4 juin 2018. URL : http:// journals.openedition.org/eps/5989.
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