Lie in my heart, un “jeu expressif”

Lie in my heart, an expressive game

Lie in my heart aborde plusieurs thématiques rarement vues dans le monde du jeu vidéo : celle de l’autobiographie, du suicide, du deuil et de son rapport à l’enfance, et la question de la maladie mentale. Découvrons ensemble l’expérience de jeu créée par Sébastien Genvo.

Maître de conférences, chercheur et écrivain, Sébastien Genvo propose le terme de « jeux expressifs », catégorie de jeu dont Lie in my heart fait partie. Le but principal de ce type de jeux est de faire passer une émotion, sans tenter de persuader le joueur d’un propos particulier, comme cela peut être le cas dans les serious games.

“L’autobiographie, genre très rare”

Le jeu prend la forme d’un visual novel, une série d’images comprenant du texte, où le joueur peut interagir, notamment au travers de choix de réponses ou d’actions. On incarne Sébastien, l’auteur du jeu lui-même, confronté au suicide de son épouse, diagnostiquée bipolaire. Après l’enquête, le père devra expliquer à son enfant le geste maternel. Le déroulement du jeu questionne le joueur quant au fait de savoir s’il fera ou non les mêmes choix que le père de famille.

L’autobiographie, genre très rare dans le domaine du jeu vidéo, contrairement aux mondes de la littérature ou du cinéma, s’inscrit pour Sébastien Genvo dans le cadre de l’extime. Ce concept est ici à ne pas prendre dans le sens lacanien, qui l’expliquait comme une partie d’intimité inconsciente que le sujet ne peut symboliser, et qui le renvoie à une part de lui-même perçue comme étrangère. Il s’agit ici de l’extime comme le pense Serge Tisseron, chez qui elle est le désir de rendre visible certains aspects de soi. Cela s’observe de nos jours au quotidien notamment au travers les réseaux sociaux, mais ne rentre pas dans le cadre de l’exhibitionnisme, compulsif, souvent de nature sexuelle, où la jouissance se trouve dans le fait de choquer le spectateur. Il n’y a pas donc désir de choquer chez Sébastien Genvo mais plutôt de rendre une expérience accessible.

Dans Lie in my heart, le concepteur nous présente son drame familial de manière à priori le plus authentique possible (mais comment en être certain, comme il le précise lui-même), en prenant le risque que le joueur puisse, en retour, porter un jugement sur ses choix et actions. Cette confrontation au réel est amplifiée par le fait que les illustrations ne sont pas des dessins ou des modèles en trois dimensions, mais de vraies photographies, artistiquement modifiées. Par ailleurs, le fait que le jeu compare les choix du joueur à ceux de l’auteur à la fin de chaque chapitre (sans savoir précisément quels choix diffèrent) plonge intensément le joueur au cœur de sujets très sensibles.

” La question du suicide, et du deuil”

Car un des sujets abordés est la question du suicide, et du deuil. Si on a déjà vu la perte d’un être cher au cœur du scénario de certains jeux vidéo (citons Max Payne, Shadow of the Colossus, ou encore Hellblade : Senua’s Sacrifice), elle ne servait que de cadre scénaristique. En revanche, un jeu comme That Dragon, Cancer traite d’une perte réelle, celle du fils du développeur atteint d’un cancer.

Dans Lie in my heart, il s’agit d’un suicide ayant réellement eu lieu, et des choix qui en ont découlés. Parmi ces choix, la façon dont le père va choisir d’annoncer cette mort à l’enfant. Sujet déjà difficile dans une fiction, d’autant plus ici car inspiré de faits réels.

Lie in my heart, an expressive game
Lie in my heart, an expressive game

” La question de la maladie mentale “

L’autre thématique du jeu est la question de la maladie mentale, et de sa prise en charge. Le joueur assiste ainsi de manière très juste (et pour cause) aux différentes phases de la bipolarité de Marie, qui passe de la sérénité à de sombres accès de mal-être avec propos suicidaires, qu’elle finira par acter dans le Réel.

Encore une fois, la maladie mentale est une thématique déjà rencontrée dans le jeu vidéo, on pense notamment à des jeux tels qu’Eternal Darkness, Alice : Madness Returns ou encore Hellblade : Senua’s Sacrifice. L’univers était alors scénarisé, les symptômes volontairement spectaculaires et l’univers distant du notre. Autant de barrières de distanciation qui tombent avec Lie in my heart, qui confronte le joueur à cette problématique mentale de façon beaucoup plus réaliste. Ces contenus nouveaux pourraient selon Sébastien Genvo permettre aux aidants de réaliser de l’intérieur ce qu’est la maladie mentale et les aider à mieux la comprendre.

” La dimension thérapeutique”

Un tel jeu questionne également sur la dimension thérapeutique qu’il peut avoir eu pour le concepteur dans son travail de deuil. Ce dernier revendique que cette conception n’a pas eu de fonction cathartique, la catharsis étant le fait de se détacher de ses pulsions angoissantes en les projetant vers une production artistique.

D’un point de vue psychanalytique, le deuil se présente comme une réaction à une perte, réelle ou symbolique, pouvant entraîner, « humeurs douloureuses, le désintérêt pour le monde extérieur, la perte de la faculté de choisir un nouvel objet d’amour et l’abandon de toute activité qui ne soit pas en rapport avec le souvenir de l’absent » [1]. Ce processus rencontre plusieurs étapes, aboutissant à l’acceptation de la perte et la reprise d’une vie fonctionnelle, tant professionnelle, que familiale, sociale, culturelle etc. Le travail de deuil pourra passer par différents biais, la sublimation par l’art en étant un. Ici, la création d’un jeu vidéo artistique.

Malgré le fait que la conception du jeu semble avoir été douloureuse pour le chercheur, on peut cependant penser que cette mise en récit pourra avoir une fonction bénéfique dans le futur.

Lie in my heart, an expressive game
Lie in my heart, an expressive game

Le jeu, en plus d’une expérience vidéo-ludique assez rare pour être tentée ne serait-ce que par curiosité, propose un questionnement profond sur des sujets très graves : la maladie mentale et de sa prise en charge, le rapport de l’enfance à la mort, et la dimension projective d’une œuvre.

Si cette expérience peut être parlante pour certains joueurs concernés par ces questions, le jeu est aussi profondément bouleversant pour quiconque s’y essaye.

Le genre « jeu expressif » pourrait alors également se nommer « jeux à émotions » car, oui, on ne traverse pas ce jeu avec légèreté comme lorsque on fait une partie de Street Fighter ou de Mario Kart. Si vous avez parfois eu les larmes aux yeux face à certains jeux vidéo, Lie in my Heart fait littéralement pleurer dans les moments les plus sensibles.

A essayer sur Steam, à découvrir sur le site officiel.

[1] Sigmund Freud, Deuil et mélancolie, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2011, p.46

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2 commentaires sur “Lie in my heart, un “jeu expressif””

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