Le jeu vidéo dans les médias : une image redorée ?

Gamepad

Le jeu vidéo est un média existant depuis une soixantaine d’années. Il est régulièrement mis en avant dans les autres médias pour de multiples raisons. Nous allons nous interroger ici sur l’image du jeu vidéo dans les média.

Fin 1990- début 2000: jeu vidéo et panique morale 

Le 20 avril 1999, deux adolescents ouvrent le feu sur leurs camarades à Columbine, aux États-Unis. Ils tuent 13 personnes, et mettent fin à leurs vies. Ce n’est pas la première tuerie scolaire aux États-Unis, ni la plus meurtrière…

La différence est que son traitement médiatique immédiat est immense. Plusieurs œuvres de fiction ou documentaires prennent cette fusillade comme sujet principal, notamment Elephant de Gus van Sant et Bowling for Columbine de Michael Moore. La tuerie de Columbine marque aussi l’éclatement au grand jour d’une polémique sur la violence dans les jeux vidéo.

Quelques voix s’élevaient déjà dans le monde anglophone contre les jeux de guerre des années 80, mais c’est en 1993 que la violence dans les jeux vidéo devient un sujet médiatique francophone, comme le montre Olivier Mauco dans une série d’articles(1).

En parallèle de cette histoire, la sortie de deux jeux considérés comme particulièrement violents fait du bruit dans les médias : Mortal Kombat de Midway et Doom d’ID Software. Cette sortie déclenche une réaction des médias et du monde politique aux Etats Unis et dans le monde francophone. Mortal Kombat est sorti en 1992 sur borne d’arcade, mais c’est son passage sur console de salon qui attire l’attention sur son côté sanglant, une nouveauté sur les consoles de salon. Le jeu espérait se démarquer de ses concurrents, ce qu’il fit avec succès (2)Mortal Kombat propose en effet une violence beaucoup plus visibles que dans les productions antérieures, avec notamment des mises à mort, et une souffrance plus visible que dans les autres jeux du genre.

Doom aussi est gore, mais c’est beaucoup plus la combinaison d’un jeu violent et de la vision en première personne qui choque, rappelant quelqu’un qui tirerait lui-même sur des ennemis. La question de l’immersion dans ces univers virtuels était souvent mise en avant dans les débats sur la violence et la dépendance aux jeux vidéo. Il était alors courant de penser que les jeux de type FPS (jeux de tir à la première personne) sont les plus immersifs car vus au travers du regard du personnage.

Par ailleurs, Doom n’est pas le premier jeu du genre, puisque le même studio avait produit Wolfenstein 3D en 1992, mais le gameplay et la campagne de publicité de Doom ont attiré l’attention des médias beaucoup plus que ne l’avait fait son prédécesseur

Doom, 1993.
Doom, 1993.

Les tueries réactivent alors un discours sur les jeux violents qui auraient une influence sur les adolescents favorisant un passage à l’acte. Les médias s’appuient sur les propos de professionnels, « études scientifiques » à l’appui. En effet, il est vrai que certaines anciennes études concluaient à l’existence d’un lien entre utilisation de jeux violents et passage à l’acte. Pourtant, force est de constater que les études en questions comprenaient de nombreux biais : certains chercheurs désiraient visiblement confirmer leurs idées premières (biais de confirmation), avait une très mauvaise connaissance des jeux en eux-mêmes, l’échantillon était non représentatif (trop petit, centré sur une seule tranche d’âge) etc. Les études récentes ont plutôt tendance à confirmer l’absence de lien entre jeux violents et comportements violents.

Le simple fait de toujours poser la question “Le jeu vidéo rend-il violent ?” conduit à une surreprésentation de ce lien, qui occulte tous les autres aspects liés au jeu vidéo. On peut donc dire que le discours médiatique sur le jeu vidéo de fin 1990 à début 2000 étaient accaparé par cette angoisse du passage à l’acte et de la violence venant du jeu vidéo.

2000-2010 : Le jeu vidéo et le discours médical 

A partir des années 2000 et avec l’arrivée des professionnels de santé dans les médias, le discours autour du jeu vidéo se concentre sur deux axes : la peur de l’utilisation excessive d’écran et les conséquences physiologiques et psychologiques de l’abus de jeux virtuels. 

Le premier axe nous vient des années 1970 et 1980 avec l’arrivée des télévisions dans les ménages français et belges, une critique médicale de la télévision apparaît. La télévision est accusée d’abîmer les yeux, de remplacer la saine activité sportive de plein air, et plus tard (dans les années 90 avec l’arrivée des mangas) de provoquer des crises d’épilepsie.

Comme toujours dans les discours populaires de critiques des médias, on peut identifier une source encore plus lointaine aux efforts pour limiter l’accès à la télévision. Auparavant, c’était la lecture pratiquée de façon intensive (les romans sont alors principalement mis en cause) qui était accusée de nuire à la vue et à la santé physique. De façon intéressante, il semble que ce soit toujours le médium d’avant qui critique celui d’après, la presse écrite critique l’arrivée de la télévision, puis c’est sur les plateaux télévisés qu’on accuse le jeu vidéo.

Au-delà de l’aspect scientifique des critiques, qui semble ne pas résister à une analyse poussée, c’est surtout le caractère de résistance médiatique qui doit être retenu. Sous couvert d’une argumentation scientifique, les médias entrent dans une compétition entre eux (la lecture contre la télévision, la télévision contre le jeu vidéo, la lecture « classique » contre le manga, etc) par peur d’être remplacés par un nouveau média arrivant.

C’est un phénomène complexe qui se joue avec la peur de disparition pure et simple d’un média et de ses acteurs, ainsi que la peur de perdre une position dominante de prescription culturelle.

Le second axe évoqué tient sur un débat autour des conséquences psychologiques du jeu vidéo. Les deux reproches majeures sont d’une part de créer une forme de dépendance et d’autre part de favoriser un comportement d’isolement social volontaire. 

Comme pour la violence, c’est l’arrivée d’un nouveau jeu qui apporte ces nouvelles réflexions. En 2004, Blizzard publie World of Warcraft, un MMORPG, jeu en ligne massivement multijoueur se déroulant dans un monde qui continue à exister quand les joueurs se déconnectent. C’est une partie avec des millions de participants, qui n’a pas de fin. Tant que le monde est mis à jour par l’éditeur, elle offre régulièrement de nouvelles quêtes, de nouveaux objets et de nouvelles fonctions. WOW est tiré d’un univers transmédiatique, Warcraft existe en effet sous plusieurs médias dont le livre, le jeu de société, etc. 

Le reproche fait sur l’auto-exclusion devient obsolète dès lors que nous nous intéressons à ces jeux puisque la pratique d’un MMORPG se fait majoritairement en groupe qui peuvent être une guilde. Par ailleurs, la démocratisation des jeux multi-joueurs en ligne et, en parallèle, des jeux conviviaux comme ceux disponibles sur Wii et ses successeurs, finissent d’enterrer le débat. 

World of Warcraft
World of Warcraft

La question de la supposée dépendance aux jeux a pris une nouvelle dimension avec l’officialisation par l’OMS en 2019 du très controversé « trouble du jeu vidéo » ou « gaming disorder », que nous avions déjà évoquée dans nos colonnes. Cette question du temps passé devant l’ordinateur ou la console et d’un temps prétendument « normal” de jeu est, au-delà de sa simplicité trompeuse, aussi un signe de prescriptions éducatives. Il paraît alors explicable que les effets supposés des jeux vidéo (violence, problèmes physiologiques ou psychologiques), sont toujours traités en regard de la jeunesse dans un sens d’une panique morale. Nous retrouvons donc dans ces argumentations une volonté morale de “protéger la jeunesse” que l’on remarque dans beaucoup de procédés de censure ou d’interdiction flims violents, sexe, drogue… 

Le jeu vidéo fait l’objet d’une panique morale, concept sociologique développé en 1972 par Stanley Cohen (“moral panic”) pour parler d’une réaction collective disproportionnée à des pratiques culturelles ou personnelles en général minoritaires, considérées comme « déviantes » ou néfastes pour la société.

Rappelons qu’il est plus intéressant de se questionner non pas uniquement sur le temps de jeux, mais sur la fonction et la place qu’il occupe dans la vie du joueur, entre la vie familiale, sociale, scolaire ou professionnelle.

Et aujourd’hui ? 2020, le confinement et le jeu vidéo

En parallèle d’un discours proposant toujours des arguments de panique morale envers les plus jeunes, depuis le début, certains psychologues travaillent avec le jeu vidéo et prônent la pratique du jeu vidéo comme une pratique valorisable

Plus récemment, le confinement a été l’occasion d’apporter une vision différente du jeu vidéo, pour preuve l’OMS qui a retourné sa veste pour publiquement appuyer la pratique du jeu vidéo pour faire du lien durant cette période difficile d’isolement social.

Aujourd’hui, nous ne voyons paraître des gros titres négatifs sur le jeu vidéo que lors de la sortie de jeux particuliers ou de nouvelles réglementations officielles autour du jeu vidéo et de son industrie. 

En conclusion, depuis la naissance du jeu vidéo et encore plus à partir de l’arrivée des consoles de salon dans les domiciles, le jeu vidéo fait l’objet d’un traitement médiatique particulier. La panique morale pour les jeunes est une récurrence que nous voyons à chaque apparition d’une pratique infantile, les jeux vidéo, les mangas, les jeux de cours de récréation sont tous, à un moment donné, questionnés pour faire valoir un questionnement éducatif et protecteur. 

L’image du jeu vidéo est-elle redorée dans notre société et dans nos médias ? Je ne serais pas si tranchée, l’avenir continuera de nous le dire. Cependant avec de plus en plus de pratiquants, le jeu vidéo n’est plus l’objet inquiétant qu’il était pour ceux s’intéressant un minimum à ce média et à la pratique des plus jeunes.

Solitude

Bibliographie : 

(1) Mauco, Olivier, “La médiatisation des problématiques de la violence et de l'addiction aux jeux vidéo, Faits divers, dépendance journalistique et pénurie d'approvisionnement en sources”, Quaderni, n°67, automne 2008.

(2) Donovan, Tristan, The History of Video games, Letes, Yellot Ant, 2010.

Cet article a été écrit avec la lecture des documents ci-dessus et est né d'un axe proposé dans le Mooc "Introduction à la culture vidéoludique" ainsi qu'avec la création de mes premiers cours.
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