Il y a quelques semaines de cela, nous vîmes apparaître sur Netflix une étonnante bande-annonce pour une série sobrement nommée « Freud » qui nous laissa imaginer le pire. Et effectivement, dans le registre de la médiocrité, nous avons été servis.
Table des matières
Psy et pop-culture
Le « psy » est devenu, au fil des années, un personnage parfois caricatural mais très présent dans la pop-culture. Séries policières, films de romance, la figure du psy s’immisce dans tous les genres, jusqu’au jeux vidéo avec le psychiatre de GTA V, ou même dans le film Sonic où le hérisson joue au jeu imaginaire du patient et du thérapeute. Si je ne devais citer que deux références où le personnage du psy est le centre de l’intrigue et non un élément annexe, je vous invite à découvrir la série américaine de 2008 « En analyse » (In Treatment en VO) dépeignant assez habilement les processus thérapeutiques, et l’étrange film franco-allemand « Mortel transfert » (2001). A l’annonce de la série Freud et aux premières images de la bande annonce, je m’attendais à retrouver certes une fiction, mais j’étais loin d’imaginer la médiocrité du contenu.
Avec la série « Freud » de chez Netflix, nous entrons dans le grand n’importe quoi pour arriver au paroxysme du cliché du genre. Avant de voir l’étendue des dégâts, parlons de Freud, le vrai.
L’homme Freud et la psychanalyse
Médecin neurologue autrichien né en 1856, Sigmund Freud est le père souvent attaqué de la non-moins critiquée psychanalyse. Après avoir rencontré le neurologue français Charcot, qui présentait des patientes dites hystériques sous hypnose, Freud proposa le concept d’inconscient. L’inconscient est une partie du psychisme qui n’est pas directement accessible à la conscience, où se situe les éléments refoulés. Freud utilisa l’hypnose dans un premier temps, puis le travail analytique par la parole « talking cure », basé entre autres sur l’analyse du rêve ou encore du lapsus. L’accès à des éléments refoulés devient possible et les symptômes des patients peuvent alors disparaître.
Freud pensait que le psychisme était mu par une énergie sexuelle, la libido, et conceptualisa à travers la sexualité infantile. En s’inspirant d’« Œdipe Roi » de Sophocle, où Œdipe tue son père et épouse sa mère, Freud imagine le complexe d’Œdipe comme étant universel. L’accueil de la communauté scientifique à l’égard des théories analytiques fut on ne peut plus hostile. Par ailleurs, certains de ses confrères et amis dont Carl Gustav Jung s’éloignèrent de lui, en désaccord notamment sur cette question de la sexualité infantile. Je vous invite à découvrir « A Dangerous Method » (2011), de David Cronenberg, qui met en scène plutôt fidèlement la relation entre Freud et Jung.
Freud continua à développer ses concepts analytiques, en proposant notamment après la première guerre mondiale les concepts de pulsion de mort et de pulsion de vie, qui selon lui apparaitrait au delà du principe de plaisir et qui face à face s’opposeraient en permanence sous la forme de diades comportementales (attraction-répulsion, amour-haine, etc…)
Il continua son œuvre avant de mourir à Londres en 1939.
L’homme Freud comme la psychanalyse furent l’objet de nombreuses attaques, notamment quant à sa consommation de cocaïne et son obsession pour l’origine sexuelle du psychisme. Citons « Le Crépuscule d’une idole » (2010) de Michel Onfray, critique acerbe de l’homme et de sa théorie, ou encore « Le Livre noir de la psychanalyse » (2005) dont on devine facilement le contenu d’après le titre. La psychanalyse a parfois souffert d’être mal comprise mais on ne peut cependant pas nier qu’effectivement, certaines propositions psychanalytiques se sont parfois révélées erronées. On pense notamment au positionnement sur l’autisme, dénoncé notamment dans le documentaire « Le Mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » (2011) de Sophie Robert.
Cependant, force est de constater que les concepts analytiques théorisés par Freud et ses successeurs sont toujours utilisés de nos jours, aussi bien dans des cures types analytiques que dans des thérapies d’inspiration plus moderne.
Freud de Netflix ou l’aberration historique
Revenons donc à la série Netflix qui se déroule en 1885 et tente, elle aussi, de discréditer le jeune Freud et sa théorie encore naissante, mais en prenant le parti de littéralement tordre la réalité des faits historiques. On aurait pu imaginer qu’apporter un regard objectivement plus critique sur le personnage et ses idées eut été pourtant faisable, mais sans doute moins vendeur.
La série s’ouvre sur une scène d’hypnose que l’on découvre être une supercherie montée par Freud pour se faire connaitre. Le fait que la série débute par cette scène absolument pas représentative du travail de Freud annonce d’entrée de jeu le message qu’on aperçoit en filigrane pendant toute la série : la psychanalyse est une supercherie. Et quitte à critiquer, autant y aller très lourdement : les nombreux plans sur les bouteilles étiquetées bien lisiblement « cocaïne » ne servent qu’à fusiller le personnage avant même qu’il ait pu avoir le temps d’élaborer ses théories.
De manière plus exhaustive nous verrons que la théorie analytique n’est absolument pas le sujet de la série. Il s’agit dans les faits d’une série policière, où Freud fait alliance avec une médium pour résoudre des crimes non élucidés. Encore une fois, le fait que le jeune médecin fasse équipe avec une médium n’a pour but que d’associer psychanalyse et ésotérisme, voir une nouvelle fois charlatanisme. L’utilisation du personnage historique ici n’est qu’un prête nom à la commercialisation d’une nouvelle série policière.
En un mot comme en cent : la série est lourde et ennuyeuse, une aberration d’un point de vue historique, une critique qui tombe à côté de ce qu’elle aurait pu être, bref, une série médiocre. Si vous voulez en savoir plus sur la vraie vie de Sigmund Freud, je vous invite plutôt à voir « Sigmund Freud, un juif sans Dieu », documentaire d’Arte visible en replay, en plus des références données dans l’article.
Post-modernité et immédiateté
Cependant, si on essaye de voir plus loin dans cette série que le désir de brûler une théorie et son inventeur, on peut y voir le stéréotype de ce qu’a parfois tendance à devenir le genre policier dans la pop-culture. Loin du lieutenant Columbo qui analysait des éléments tangibles pour conclure ses enquêtes, les policiers des écrans résolvent des énigmes en moins de temps qu’il n’en faut pour cligner des yeux, à grands renforts de technologie et de « nouveau psy ». Car oui, dans la pop culture, le psy est devenu profiler ou mentaliste, qui lit quasiment dans les pensées et résoud les crimes en une demi-heure d’épisode. Selon moi, on peut y voir le symptôme de notre temporalité post-moderne, celle de la société de l’immédiateté. Le sujet n’attend plus, ne s’ennuie plus, il veut tout, tout de suite. Le temps psychique propre à chaque humain est réduit au strict minimum.
On se rend parfois compte de cette dimension, dans une moindre mesure, dans nos cabinets. La plupart des patients acceptent cette temporalité lorsqu’ils la découvrent, mais certains arrivent néanmoins dans un premier temps avec une demande de suppression de symptômes, de souffrance certes légitime, mais dans l’immédiat. Il existe néanmoins des méthodes thérapeutiques récentes efficaces qui ont des effets rapides sur des symptômes invalidant, je pense notamment aux thérapies par mouvements oculaires de type EMDR (eye movement desensitization and reprocessing).
Cependant, je pense qu’il faut garder en tête que le psychisme humain n’ira sans doute jamais aussi vite que les milliards d’informations qui transitent chaque seconde dans nos microprocesseurs. Le cabinet du thérapeute est parfois, pour certaines personnes, le seul endroit où ils s’autorisent à ce que cette temporalité ralentisse.
Prenons donc ce temps psychique, notamment dans cette période de confinement où la temporalité est autre … mais si possible, loin de la série Freud.