Du sexisme chez les joueurs de jeux vidéo ?

Psycheclic

La pratique du jeu vidéo est souvent associée à un jeune garçon passant tout son temps sur son ordinateur ou sa console. Les enquêtes comme celle du SELL renouvelé chaque année ou encore l’enquête Ludespace menée par des chercheurs ont montré que jouer aux jeux vidéo n’est pas l’apanage des adolescents mais bien une pratique qui a su toucher une population bien plus grande, notamment depuis la massification des jeux mobiles. Pourtant, malgré cette diversité de pratiquant, le jeu vidéo reste souvent considéré comme “un truc de garçon” et les femmes ont plus de mal à faire valoir le jeu vidéo comme leur pratique de prédilection. Comme pour d’autres loisirs, les hommes et les femmes n’entretiennent pas le même rapport au jeu vidéo.

Il y a quelques jours, le site Gamertop a publié les résultats d’une enquête menée par l’IFOP auprès de plus de 4 000 joueurs et joueuses autour du sexisme et du machisme dans le milieu du jeu vidéo. 

Cette enquête, la première en France à quantifier ce phénomène, montre que les adeptes féminines et anonymes de jeux vidéo sont, elles aussi, la cible de comportements toxiques qui s’expliquent notamment par les stéréotypes de genre auxquels un nombre non négligeable de joueurs adhèrent. 

Cette étude a été menée par l’IFOP pour GamerTop.fr du 17 au 23 mars 2023 par questionnaire auto-administré auprès d’un échantillon de 5 009 personnes, représentatif de la population française âgée de plus de 15 ans. Au sein de cet échantillon ont été interrogés 4 018 joueurs (actuels ou passés) de jeux vidéo dont 3 251 joueurs actifs au cours des trois derniers mois.

Voilà ce que nous apprenons : 

Le jeu vidéo, une pratique paritaire mais masculine dans sa pratique “hardcore” ?

Les premières données proposées mettent en avant la pratique du jeu vidéo par catégorie de temps de jeu (quotidien, hebdomadaire, trimestriel, joueurs inactifs), d’âge (15-24 ans, 25-34 ans et 35 ans et plus) et de genre (hommes, femmes) pour présenter la pratique générale des jeux vidéo. 

Selon l’enquête, 79% des Français ont déjà joué à des jeux vidéo dont 64% activement au cours des trois derniers mois. Les 15-24 ans sont les plus actifs dans la pratique du jeu vidéo. 84% des femmes entre 15 et 24 ans jouent contre 88% des hommes. 

L’enquête montre que 15% des femmes jouent quotidiennement aux jeux vidéo contre 18% chez les hommes. 

Ces données n’étonnent personne, aujourd’hui le jeu vidéo est une pratique qui touche 7 français sur 10 selon l’enquête annuelle du S.E.L.L., l’autre grande enquête sur la pratique du jeu vidéo qui paraît annuellement et dont nous avions présenté les données en novembre 2019 ici. Le jeu vidéo est devenu une pratique occasionnelle touchant toute la population. Selon l’étude de l’IFOP, une partie de ces joueurs est dite “hardcore”. Cette typologie de joueur aurait un profil particulier : 

Tout d’abord, les joueurs dits hardcore sont définis comme des joueurs jouant à certains types de jeux (jeux de tir, d’action aventure, de rôle, de MMORPG ou de stratégie). Ils joueraient aussi sur console ou sur ordinateur plus particulièrement. 

Avec ces critères, la part de femme dite joueuse hardcore s’effondre à 47% contre 65% chez les hommes.

Cette typologie de joueur assidu dit “hardcore” est une construction de l’enquête de l’IFOP et une proposition pour présenter un type de joueur vu comme un modèle de joueur, le vrai joueur de jeu vidéo serait un homme jouant à “de vrais jeux” et sur de “vrais supports” que sont l’ordinateur et la console de jeux vidéo. Cette typologie écarte le jeu vidéo casual sur son support de prédilection que sont les smartphones. Pourtant la pratique du jeu vidéo mobile est une part importante du marché qu’il ne faut pas mettre de côté. Notons que pour cette enquête, ils ont défini que 56% des enquêtés seraient des joueurs “hardcore” soit plus d’une personne sur deux correspondraient à cette typologie de joueur.

Le sentiment d’être un(e) gameur(se)

L’enquête a interrogé son échantillon sur le sentiment d’être un gameur ou d’être une gameuse. 

Les résultats sont marquants, les hommes se sentent “être des gameurs” presque deux fois plus que les femmes. Pourtant, rappelons que nos premières données affirment qu’il y a presque autant de joueurs que de joueuses. Comment ce sentiment peut-il être aussi nuancé selon le genre? Des réponses pourraient être abordées par la sociologie et par l’histoire du mouvement geek en nous penchant sur la question des communautés comme nous l’avons fait dans cet article d’octobre 2019. Nous pourrions aussi mettre en avant la figure hégémonique du geek mais l’enquête de l’IFOP propose une autre approche en abordant la question de la réticence à afficher son intérêt pour les jeux vidéo par crainte d’un jugement extérieur. 

Jouer aux jeux vidéo : une pratique honteuse quand on est une femme ? 

Ces données nous montrent que le jeu vidéo est devenu un objet de société comme un autre, comme nous pouvons le voir, seulement 17% des enquêtés préfèrent ne pas parler de leur intérêt pour le jeu vidéo dans un cercle social. Ce chiffre baisse à 11% lorsqu’il s’agit de l’entourage professionnel et diminue à 9% pour les autres cercles sociaux comme la famille, les amis ou encore une personne qui leur plairait. L’enquête propose un focus sur les joueurs de jeux de combat dont les données se différencient par plus de difficulté à parler de leur centre d’intérêt que les autres joueurs. Les femmes aimant et pratiquant les jeux de combats sont réticentes à partager avec au moins un cercle d’amis leur passion à 46%. Ce chiffre touche presque une personne sur deux pour les femmes jouant aux jeux de combats alors que pour l’ensemble des enquêtés, ce chiffre est de presque deux personnes sur dix. 

Ce focus est intéressant et demanderait un approfondissement de l’enquête pour découvrir en quoi un type de jeux en particulier serait “moins partageable” qu’un autre type de jeux. 

L’enquête se poursuit en entrant dans le vif du sujet, les gameurs sont-ils plus sexistes? 

Stéréotypes et jeux vidéo 

En proposant une liste de suggestions, les enquêtés ont dû choisir entre adhérer ou ne pas adhérer à ces suggestions. Les enquêtés ont été découpés entre personnes se disant “très gameurs”, “plutôt gameur” ou “ne se sent pas gameur”. Un autre découpage propose les résultats selon les types de pratiques de jeux (pratique des jeux de combat, pratique de MMORPG et pratique de jeux de stratégie) et selon leurs activités de jeux (joueurs actifs, joueurs inactifs et ne jouant pas à ce type de jeux). 

Globalement, les hommes se définissant comme « très gameurs » ou « plutôt gameurs », ainsi que les pratiquants de jeux de combat et de MMORPG, souscrivent davantage à des discours machistes et masculinistes.

« S’il ne faut pas généraliser, force est de constater que les joueurs, et surtout ceux les plus intégrés à cette communauté, tendent à porter davantage un regard sexiste sur les rapports de genre et la place des femmes dans la société. On peut y voir les effets de l’entre-soi d’une communauté pendant longtemps quasi exclusivement masculine, dont les imaginaires et les représentations étaient habités de figures tout aussi exclusivement viriles : Solid Snake dans un Metal Gear, Geralt de Riv de la série the Witcher ou encore Master Chief de la série Halo… » analyse Enora Lanoë-Danel, chargée d’étude à l’IFOP.

Vivre le sexisme dans le jeu vidéo 

Pour illustrer davantage l’expérience du sexisme à travers la pratique du jeu vidéo, l’enquête se poursuit auprès des femmes pour s’interroger sur les situations d’interaction avec d’autres personnes jouant aux jeux vidéo. 

Parmi les 30% qui interagissent en ligne avec des personnes inconnues nombreuses sont les joueuses à dire dans cette étude qu’elles ont déjà été victimes de sexisme sous différentes formes. Cette proportion à interagir avec d’autres personnes monte à 71% chez les adeptes de jeux de combat et 66% chez ceux qui préfèrent les jeux de rôle.

Les types de comportements dénoncés sont nombreux, du paternalisme condescendant aux critiques à caractère sexiste en passant par des propos obscènes ou des menaces d’agression, il s’agit ici de parler de situations vécues en tant que témoin ou victime pour les joueuses. Ce que nous pouvons voir, ce sont des chiffres particulièrement élevés pour les joueuses dites « hardcore » dans les situations de violences proposées. Les joueuses casual moins touchées restent cependant bien touchées par ces situations.

Alors que font les joueuses pour se préserver de ces situations? Elles développent des stratégies d’évitement jusqu’à dissimuler leur genre ou éviter les jeux en ligne.

Ce que nous découvrons derrière ces dernières données, c’est que 40% des joueuses ont au moins utilisés une technique d’évitement durant leur pratique du jeu vidéo. Cette donnée augmente fortement lorsqu’il s’agit de pratiquantes de jeux de combat et de MMORPG qui sont les plus nombreuses à subir ces violences.

 

GamerTop conclue dans son article que « cette enquête particulièrement poussée montre s’il le fallait que, dans le monde du jeu vidéo comme dans bien d’autres pans de la société, bien du chemin reste à faire pour mettre à mal les stéréotypes qui stigmatisent les femmes et nourrissent chez un nombre encore trop important d’hommes des comportements aussi brutaux qu’inacceptables« .

Pour ma part, j’aurais voulu avoir plus de données de l’enquête afin de mieux appréhender ce phénomène qui effectivement touche le milieu du jeu vidéo comme d’autres pans de la société et qu’il faut continuer de combattre pour un mieux vivre ensemble global. Le jeu vidéo est une pratique culturelle comme une autre que chacun peut s’approprier pour vivre de belles aventures et expériences vidéoludiques. Chacun doit pouvoir jouer librement sans être touché par aucunes formes de violences qu’elle soit sexiste, ou contre les joueurs débutants.

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