Chronique : Les troubles mentaux dans le jeu vidéo – épisode 2

Doki Doki Literature Club

Après un premier épisode posant les bases nécessaires pour penser le psychisme humain, et quelques exemples de jeux pour l’illustrer, voici le deuxième volet de ma chronique sur les troubles mentaux dans le jeu vidéo.

Doki Doki Literature Club, dépression et passage à l’acte suicidaire

Âmes sensibles s’abstenir ! Le dicton « il ne faut parfois pas se fier aux apparences » s’applique ici dans le domaine du jeu vidéo. Ce jeu de 2017, disponible gratuitement sur Steam, se présente comme un visual novel coloré, où un adolescent rencontre quatre jeunes filles dans un club de littérature au lycée. Avec des dessins très stéréotypés, on échange des quantités de textes ennuyeux avec les jeunes filles sur fond d’histoire d’amour et de composition poétique. Jamais le joueur ne peut imaginer en amont les graves sujets présents dans le jeu. Attention, ce qui suit va dévoiler une partie de l’intrigue.

Doki Doki Literature Club
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Pourtant, j’avais bien noté en début de jeu des avertissements disant que le jeu n’était pas du tout adapté pour les enfants ni pour les personnes souffrant d’anxiété et de dépression, ce qui m’a assez surpris pendant les cinquante assommantes premières minutes de jeu. Jusqu’à ce qu’une des jeunes filles annonce qu’elle est dépressive, qu’elle est tout le temps en retard parce qu’elle n’arrive plus à sortir de son lit, qu’il vaudrait mieux qu’elle ne soit plus là etc.. . Parallèlement, une autre jeune fille affiche une obsession pour les couteaux, elle avoue se scarifier, mécanisme qui permet d’éprouver le corps et la limite de celui-ci quand elle devient poreuse, notamment dans les cas de structure d’allure psychotique ou d’état limite.

Rappelons que, selon la structure, sont mises en place des défenses pour faire face à l’extérieur. De toute évidence, la jeune fille en question a manifestement un grave problème dans son rapport à l’extérieur. Le jeu prend alors une tournure assez dramatique, inquiétante et en même temps assez réaliste, contrairement au début. La jeune dépressive laisse un « poème » avec écrit sur toute une page « get out of my head », suggérant un début de décompensation psychique. Le héros arrive alors chez elle, et trouve l’adolescente pendue.

Je pense qu’il est difficile de décrire le sentiment d’effroi qui envahi le joueur devant cette vision morbide. L’inattendu de cette fin tragique, allié au fait qu’on ait virtuellement parlé pendant près d’une heure avec la jeune fille en question, rend cette rencontre glaçante. Une personne rencontrée lors d’une de mes conférences nous dira avoir eut du mal à trouver le sommeil pendant plusieurs jours après cette vision, qui restera gravée quasiment comme un traumatisme.

Mais l’aventure ne s’arrête pas là : le jeu annonce qu’il est fini, mais reprend alors, truffé de bugs graphiques, l’ambiance est plus glauque, les symptômes dépressifs et d’automutilation sont plus francs. Deux adolescentes se suicident cette fois, avant que le jeu ne finisse et ne redémarre. Il ne reste alors qu’une seule jeune femme qui s’adresse, non plus au personnage, mais au joueur lui-même. Elle dit savoir qu’elle est dans un jeu vidéo et avoir manipulé les fichiers du jeu pour rendre les autres filles moins désirables pour nous et les pousser au suicide, comportement frôlant la perversion ou la psychopathie. J’arrête là le récit afin de ne pas « divulgacher » (oui, spoiler…)  la fin de l’intrigue.

Doki Doki Literature Club
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Cet étonnant jeu emmène plusieurs réflexions très intéressantes. Premièrement, la question des troubles mentaux qui, de façon très réaliste, ne se voit parfois que peu, voire pas du tout. Ainsi, certaines personnes qui souffrent de dépression ne le montrent pas, et ne se présentent dans le lien social qu’une fois les phases les plus sombres terminées. Le passage à l’acte est donc d’autant plus violent pour l’entourage que celui-ci n’a rien vu venir.

Ce qui est dérangeant dans ce cas, c’est la nature même du support -le jeu vidéo- pour traiter un sujet aussi grave. Il faut certes en parler, mais ce n’est pas ici un serious game qui permet d’appréhender la dépression comme dans Elude, dont nous avions déjà parlé, c’est juste un jeu vidéo en apparence comme un autre. On peut trouver qu’une thématique aussi glaçante qu’une adolescente qui se donne la mort est un sujet vraiment délicat pour un sujet de jeux vidéo en apparence si léger, même si la puissante mise en abîme du joueur est également au cœur de la mécanique de jeu.

Qui plus est, cette porosité des limites entre les personnages et les joueurs pourraient peut-être être mal vécue par des joueurs au psychisme fragile, comme justement indiqué en amont du jeu.

Rappelons que, dans tous les cas de figure, si vous pensez souffrir d’un symptôme dépressif, ou que certains troubles présentés dans les jeux de ce dossier vous semblent personnellement familières, faites-vous aider par un professionnel de santé, médecin, psychologue ou psychiatre.

Pour conclure cette partie, Doki Doki Litterature Club reste une expérience unique de jeu, mais à tenter à vos risques et périls !

 

Batman Arkham Asylum, institution psychiatrique et hallucination

Revenons un moment sur Batman, que nous avions déjà évoqué dans nos colonnes lors de la sortie du film Joker. On ne présente plus l’homme chauve-souris et son univers, où les termes psychotiques ou schizophrènes sont couramment utilisés pour décrire certains ennemis de Bruce Wayne. On remarque d’ailleurs que les troubles mentaux et la psychologie semble être des éléments récurrents dans cette fiction. Hugo Strange est un psychiatre qui lit dans les pensées de ses patients, tout comme le docteur Harleen Quinzel qui deviendra Harley Quinn après avoir été débordée par son contre-transfert massif envers son patient le Joker.

La schize, séparation mentale entre deux personnalités différentes voire opposées au sein d’un même personnage, courant dans l’univers des comics, se retrouve dans un très grand nombre de protagonistes de ce comics. Il est cependant important de rappeler que, dans la réalité, le fait d’être inscrit dans une structure psychotique n’indique absolument pas un risque de passage à l’acte : ils représentent des cas rarissimes, contrairement aux univers de fiction où ils se doivent d’être de rigueur pour des questions scénaristiques.

Des films, séries, produits dérivés en tout genre, jeux vidéo : Batman passionne. Sur les dizaines de jeux vidéo qui existent, un des seuls opus se déroulant entièrement dans un hôpital psychiatrique et qui va permettre de mettre en avant toutes ces composantes psychiques au sein d’un jeu vidéo, est Batman Arkham Asylum, sorti en 2009 sur Playstation 3, X-Box 360 et PC.

Batman Arkham Asylum
Batman Arkham Asylum

Ainsi, tout au long de l’aventure, le joueur trouve régulièrement des éléments faisant découvrir la prise en charge institutionnelle des différents adversaires de Batman : par exemple, des retranscriptions audios des séances de psychothérapie peuvent être trouvées tout au long du jeu. On y apprend par exemple que tous les professionnels ayant rencontré le Joker ont posé un diagnostic différent, qu’il passe le test de Rorschach, on entend également l’évolution du transfert entre la belle Poison Ivy et son psychiatre etc.

Batman Arkham Asylum commence par l’arrivée de Batman dans le lugubre asile d’Arkham, qu’on appellerait de nos jours en France hôpital psychiatre. Il livre le Joker sous contention. Naturellement, l’opposé du sombre Batman, le clown tueur en série complètement délirant, s’évade.

Après quelques péripéties au sein de l’établissement, Batman respire le gaz toxique de Jonathan Crane, plus connu sous le pseudonyme de l’Epouvantail. Docteur en psychologie, il cherche à exacerber les phobies de ses patients et fait référence aux archétypes jungiens.

Carl Gustav Jung, psychiatre suisse, proposa plusieurs archétypes comme une sorte de symboles psychiques communs à toute l’humanité, idée par ailleurs rejetée par d’autres courants théoriques.

Le gaz toxique de l’Epouvantail sera la source d’épisodes hallucinatoires particulièrement violents pour Batman, que le DSM-V (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, dont nous avions parlé précédemment) classifierait comme « Trouble psychotique induit par une substance/un médicament ». Dans la première scène d’hallucination, Bruce voit les corps morts de ses parents dans la morgue de l’hôpital, qui lui parlent. S’en suit alors une scène où la réalité est disloquée, Batman naviguant dans des bouts de décors en évitant le regard mortel de l’Epouvantail. Comme pour survivre à la mort de ses parents, c’est le bat-signal, symbole du personnage, qui permettra à notre héros de sortir de cette hallucination.

Batman Arkham Asylum
Batman Arkham Asylum

Ce symbole sera d’ailleurs repris lors de la deuxième scène délirante. Dans une lente transformation d’un couloir de l’institution en rue lors d’une soirée pluvieuse, Batman revit l’épisode tragique où le jeune Bruce Wayne assiste, impuissant, à l’assassinat de ses parents (l’angoisse par excellence pour l’enfant). Alors que le jeune Bruce aurait pu rester muré dans le trauma du meurtre de ses parents, il semble le désavouer en jurant de faire payer le meurtrier et de devenir un justicier pour venger ses parents. Ainsi, il cherche à devenir phallique, tout -puissant, pour compenser sa rencontre traumatique avec le fait que son propre père ne soit pas parfait mais mortel.

Il prend donc les derniers mots de son père, couchés dans son testament, au pied de la lettre, comme une injonction qui demandait au jeune orphelin de veiller sur les habitants de Gotham, d’utiliser son argent « pour les protéger des menaces auxquels ils pourraient devoir faire face », et « ne jamais abandonner cette ville à son sort ». Dans le jeu, l’ombre de la chauve-souris apparaît sur le jeune Bruce, renvoyant à la célèbre phrase « I shall become a bat ! ».

Enfin, lors d’une troisième scène délirante, le joueur revit le début du jeu, sauf que Batman est le prisonnier sous contention, questionnant l’équilibre psychique de celui qui a dû se déguiser en chauve-souris pour dépasser la perte parentale. Le Joker le met à mort, et il sort de sa propre tombe, la métaphore de la renaissance étant également récurrente dans cette série.

Encore une fois, ce type d’hallucinations est un cas extrême et rare de symptômes dans certaines maladies mentales, la grande majorité de personnes inscrites dans une structure psychotique ne décompensant pas forcément aussi violemment.

Ces deux jeux nous offrent donc des visions numériques et scénarisés de troubles mentaux variés, ici présentés de façon spectaculaire. Lors de la suite de cette chronique, nous verrons deux autres jeux centrés sur la psychose et ses manifestations. Si vous avez des propositions de jeux à traiter, n’hésitez pas à nous le dire sur les réseaux sociaux !

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1 commentaire sur “Chronique : Les troubles mentaux dans le jeu vidéo – épisode 2”

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