Cosplay et Comportements déviants

Dans notre société, les sujets autour du harcèlement et des agressions verbales et/ou physiques à caractère sexuel sont beaucoup mis en lumière depuis l’affaire Harvey Weinstein. Que ce soit au travail ou dans la rue, nous osons parler et nous n’avons plus peur de pointer du doigt les comportements déviants. Dans l’univers Cosplay les limites semblent plus floues et les implicites nombreux. C’est ce dont nous allons parler aujourd’hui.

Définition et histoire

Le Cosplay est un terme issu d’un anglicisme reprenant Costume et « play ».

Le grand dictionnaire terminologique de Québec définit le cosplay comme « une activité axée sur la personnification qui consiste à se costumer en personnage de fiction, issu d’un jeu vidéo, d’une bande dessinée ou d’un film d’animation, et à jouer en public son personnage en imitant son comportement. ». Tradition québécoise oblige, le terme francisé serait « une costumade », mais nous préférons parler ici d’incarnation.

« le cosplay est une personnification d’un personnage en imitant son costume et son comportement. »

Si cette définition du cosplay est reconnue de tous, en pratique, le cosplay diffère selon les traditions. Et si le cosplay au Japon est une pratique très sérieuse qui permet de s’émanciper « face à une société stricte et castée » , son pendant européen exprime le plaisir simple et ludique d’un travestissement en marge des questions politiques»[1]. Au Japon, le cosplay est pris très au sérieux et il y a une attention particulière portée sur le fait main et la fabrication personnelle du cosplay alors qu’en France, un cosplay acheté mais personnifié et porté avec plaisir et amusement peut être accepté par la communauté.

Le cosplay par sa définition est le reflet d’une interprétation d’une représentation d’un personnage. Evidemment, le cosplayeur doit utiliser des références pour que l’on puisse reconnaitre son personnage, mais en France, on autorise quelques libertés et c’est ainsi que l’on a pu voir apparaitre la mode des « Bunny »  qui transforme le personnage choisi en version lapin.

Les comportements déviants sont les comportements qui transgressent une norme. La sociologie de la déviance a longuement été étudiée et nous apprend que toute déviance prend en compte deux éléments : l’adoption d’un type de comportement et l’existence d’une norme qui le prohibe. On peut affirmer qu’il n’y a pas une déviance mais des déviances qui ont existé de tout temps et en tous lieux et que ces dernières évoluent avec les normes et les comportements.

On peut définir les normes comme un ensemble d’incitations, d’obligations ou d’interdictions fondées sur un socle de valeurs visant à orienter le comportement des individus en société.

Les normes présentent trois caractéristiques principales : elles sont plurielles (normes formelles et normes informelles), relatives (le contenu des normes varie dans l’espace) et diversement appliquées (les normes sont parfois désuètes et ont une amplitude de manœuvre).

En somme, nous allons nous intéresser aux comportements déviants autour du cosplay afin de pouvoir le comprendre et parler des solutions pour éviter/ limiter ces comportements au sein du groupe observé.

Un petit peu d’histoire…

Le cosplay a vu le jour aux Etats-Unis avec comme pionnier en 1939 Forrest J. Ackerman qui s’est déguisé en homme du futur pour la WorldCon (convention de science-fiction).

Forrest J Ackerman dit Mr Science Fiction (1916-2008), est un écrivain, producteur de cinéma, éditeur et scénariste américain de science-fiction et horreur. Il est aussi considéré comme le pionnier de la pratique du cosplay.

Le cosplay explose dans les années 1970-1980 avec le succès de Star Trek et Star Wars. C’est le début des concours de cosplay appelés Masquerade. Le terme cosplay est quand à lui inventé plus tard par un japonais lors d’un de ces concours.

C’est d’ailleurs au Japon que l’art du cosplay s’invente dans les années 1980 avec pour objectif de créer des costumes mains et d’arriver à mimétiser le personnage choisi.

C’est dans les années 1990 que l’on voit arriver la pratique du cosplay en Europe (plus activement en France, en Italie et en Allemagne). La scène européenne a pour particularité de prêter un grand soin à la mise en scène des personnages et à porter une attention spécifique à la fabrication maison du costume et des accessoires. Nous l’aurons compris, le cosplay est une pratique culturelle spécifique, avec des codes qui a pris son ampleur avec l’évolution dans la société de la culture geek.

« Mais si le cosplay est avant tout une passion, le comportement des uns et des autres peut rapidement devenir un frein à l’épanouissement au sein de cette activité. »

Le cosplay est une activité de partage via les réseaux sociaux et les lieux de regroupement propices. Mais si le cosplay est avant tout une passion, le comportement des uns et des autres peut rapidement devenir un frein à l’épanouissement au sein de cette activité.

Les témoignages de cosplayeurs sont souvent les mêmes et recroisent des comportements déviants récurrents que ce soit des témoignages d’agressions physiques en convention avec des mains baladeuses, des insultes (grossophobes, racistes ou sexistes) ou bien encore avec l’envoi de contenus explicites sur les réseaux sociaux.

Je me suis demandée s’il y avait une explication sociale à ces comportements déviants et s’il était possible de comprendre les enjeux liés autour de ces derniers au sein de la pratique du cosplay.

Existe-t-il des comportements déviants au sein de l’univers cosplay ?

Pour répondre à cette question nous devons nous pencher sur les grandes thématiques de comportements déviants liés au cosplay et essayer de comprendre d’où ils viennent pour les expliquer et permettre de les limiter.

J’ai choisi trois axes de recherche pour tenter d’expliquer les comportements déviants au sein du cosplay : le character design, le phénomène Deadpool, les adaptations possibles des personnages.

A propos de l’hypersexualisation des corps…. 

Y a-t-il une tenue spécifique qui autorise les autres à nous toucher ou à nous insulter ? Le fait d’incarner tel ou tel personnage est-il un appel aux comportements déviants ?

Mon premier axe de réflexion tourne autour des characters design des personnages cosplayés.

Le character design, c’est la conception de l’identité des personnages d’un jeu, leurs caractères et tempéraments mais aussi leurs identités visuelles à travers les corps et vêtements. Le character design est la construction d’un personnage par un développeur. Les personnages créés sont donc socialement construits et répondent à minima sur un fantasme du créateur.

Les personnages empruntés par les cosplayeurs sont donc des personnages créés par d’autres et personnifiés par le porteur du cosplay.  Il arrive que les cosplayeuses subissent sur les réseaux sociaux et lorsqu’elles présentent leurs personnages des comportements sexistes via des commentaires ou des agressions physiques. Elles ne sont plus reconnues comme des personnes mais comme des réalités de personnages inventés.

Une étude américaine menée par J. Burnay, B. J. Bushman et F. Larøy qui traite du cyberharcèlement dans le jeu vidéo montre que : “l’hypersexualisation des avatars féminins dans certains jeux peut accroître le cyber sexisme subi par les joueuses. Autrement dit, les choix de character design des avatars aurait une influence sur certains comportements toxiques dans les jeux en ligne.”

L’hypersexualisation d’un avatar, c’est le fait d’avoir un personnage avec ses caractères physiques sexués surdimensionnés (un homme très musclé, une femme avec une énorme poitrine …).

Cette étude américaine dont les résultats sont parus en janvier 2019 ne traite que du jeux vidéo et des joueurs de jeux vidéo. Le parallèle entre cosplay et jeux vidéo peut être fait dans une certaine mesure de par une proximité communautaire et par un objet parfois similaire – sous-entendu qu’une cosplayeuse interprétant un personnage de jeu vidéo féminin peut avoir à faire aux mêmes blagues dont parlent Dimitri Barabe dans son article (voir note de bas de page 1).

La question de l’hypersexualisation des personnages féminins dans le jeu vidéo peut être mis en avant comme une problématique sociétale. On souligne les problèmes de cybersexisme exacerbé par le character design sexué de personnage féminin comme excuse au cyberharcelement sexiste.

Plus largement, la femme dans la Culture Geek a un rapport au corps spécifique et ses représentations en sont souvent la preuve. L’explication la plus classique et que puisque ces représentations sont issues de l’imaginaire masculin, elles jouent sur l’imaginaire et le fantasme des characters designers.

Pensons tous à notre chère Lara Croft et son character design sur PS1.

Le phénomène Deadpool…

Mon second axe de réflexion sur les comportements me fait vous présenter un personnage qui est devenu emblématique par son arrivé sur grand écran en 2016 et 2018, Deadpool. Ce dernier a-t-il ouvert la porte à de nouveaux comportements déviants ?

 Imiter le comportement d’un personnage déviant est-il acceptable ? Jusqu’où peut-on imiter un personnage ?

Deadpool est un personnage de Marvel apparu en 1991 dans les comics est connu pour être un anti-héro avec un comportement déviant assumé. Caché derrière un costume qui ne permet pas de voir son visage, les cosplayeurs peuvent incarner ce personnage sans donner leur identité.

C’est ce que j’appelle “la problématique Deadpool” qui est un parfait exemple des problématiques d’incarnation d’un personnage avec pour enjeux de cerner ce que l’on peut accepter dans l’interprétation de personnages spécifiques.

Être masqué permet-il d’avoir une impunité de comportement ? Imiter le comportement d’un personnage déviant est-il acceptable ? Jusqu’où peut-on imiter un personnage ?

Plus largement, quelle place à le rôleplay au sein de la pratique du cosplay et jusqu’où peut-on aller au nom de la pratique du cosplay ?

Le cosplay comprend deux axes dans sa pratique. D’une part, il y a le travail manuel autour de la création du costume et d’autre part le travail d’interprétation (de « play »). Nous avons parlé du premier axe par le biais du character design. C’est ce deuxième axe qui nous interpelle maintenant.

Notons que les deux axes cités sont complémentaires et qu’un bon cosplayeur doit pouvoir incarner son personnage entièrement, par les vêtements et accessoires mais aussi par une certaine manière d’être.

« le groupe fait les normes (nous parlons donc de normes informelles) et il est fréquemment vu que lors de rassemblement si un cosplayeur jouant son personnage à un comportement déviant, il est rappelé à l’ordre voir exclu du groupe. »

Au Japon, il est courant de croiser des cosplayeurs habillés en nazis et saluant le Führer comme s’ils étaient en 1936. Pourtant, ces jeunes sont bien loin de l’idéologie nazie et ne font que « jouer » au nazisme. Cet exemple que l’on peut facilement condamner est assez marquant pour permettre de questionner jusqu’où peut-on aller en matière de cosplay notamment dans des espaces publics. En France, la législation interdit de promouvoir l’idéologie nazie, vous ne pourrez donc jamais croiser ce genre de cosplayeurs mais vous pourriez avoir à faire à d’autres comportements déviants comme ce que je soulignais au travers de l’exemple de la « problématique Deadpool ». Notons que dans le cadre extérieur à la législation, ce n’est pas l’Etat mais, le groupe qui fait les normes (nous parlons donc de normes informelles) et il est fréquemment vu que lors de rassemblement si un cosplayeur jouant son personnage à un comportement déviant, il est rappelé à l’ordre voir exclu du groupe.

Quelques autres exemples de comportements déviants… 

Par le biais de la définition du cosplay nous avons pu identifier deux grands axes sur lequel se jouent les comportements déviants au sein du cosplay et nous pourrions ajouter qu’à travers le premier axe sur l’appropriation visuel d’un personnage, le choix du caracter design  peut être la cible de comportements déviants autour de critiques racistes ou grossophobes notamment.

La question de la perception des personnages et leurs adaptations seraient au cœur de ces problématiques selon moi mais nous manquons aujourd’hui encore d’études fiables sur cette question pour pouvoir mieux comprendre cet enjeu. Nous pouvons approcher néanmoins cette réflexion à travers plusieurs exemples.

Pour cerner les enjeux d’adaptation de personnage, on peut parler du prochain film Disney “la petite sirène” où le personnage central va être incarné par une actrice afro-américaine, Halle Bailley, ce qui a fait déchanter les fans de notre petite rouquine imaginée par Disney.

Pour comprendre les enjeux autour de la représentation d’un personnage d’un autre point de vue, on peut parler de Harley Queen et de ses multiples représentations.

Si Margot Robbie a incarné à l’écran une Harley Quinn hypersexualisée, ce personnage féminin a une multitude de représentations et de mises en avant d’un personnage complexe. Elle incarne la femme libre et libérée qui en même temps ne rêve que d’une vie de femme au foyer des années 1950. Sa double personnalité permet de pouvoir mettre en avant ce que l’on veut de ce personnage. Ces personnifications en cosplay sont nombreuses. Elle est l’exemple d’un personnage que l’on peut personnifier presque sans contrainte pour se l’approprier et donner une version « unique » d’Harley Queen.

Le cosplay qui se veut être l’appropriation de la représentation d’un personnage a des règles plus ou moins explicites qui varient selon la pratique que l’on a du cosplay.

En France, le cosplay est avant tout une pratique ludique et l’on n’attend pas des cosplayeurs d’être les clones de la représentation choisie mais de réussir à créer une représentation proche mais personnelle du personnage. On peut donc apporter dans la représentation du personnage notre individualité. C’est ce point qui nous fat arriver au concept de cosplay shaming.

Qu’est-ce que le cosplay shaming ?

« Plus largement, c’est lorsqu’on juge le cosplayeur par rapport à sa corpulence, sa couleur de peau, son orientation sexuelle, voir même son handicap. »

Vous n’avez jamais entendu quelqu’un en convention critiquer une autre personne pour son physique (trop gros, trop mince, pas assez ou trop de poitrine, pas assez ou trop musclé)? Ceci est du cosplay shaming. Et beaucoup de cosplayers en son victimes de la part de non-cosplayers ou même d’autres cosplayers.

Plus largement, c’est lorsqu’on juge le cosplayeur par rapport à sa corpulence, sa couleur de peau, son orientation sexuelle, voir même son handicap.

Il est vrai que personne n’aura le physique d’un Tom Hardy, Scarlett Johansson, ou du meilleur body-builder d’à-côté. On peut avoir le meilleur costume réalisé, il y aura toujours X ou Y raisons de le pointer du doigt, car un détail clé n’est pas présent.

Le cosplay est un moyen de se créer une identité, de jouer une altérité tout en acceptant d’apporter à cet autre un peu de soi.

Ce qu’il faut retenir de toutes ses problématiques, c’est qu’elles évoluent avec la société et les enjeux contemporains. Au nom de la morale sociétale, on ne peut pas tout faire et tout accepter au sein de notre société et le milieu du cosplay ne fait pas exception.

« Pour protéger et garantir un bon esprit du cosplay avec des valeurs de partage et de création, on a vu apparaître des moyens de prévenir les déviances : l’outing sur les réseaux sociaux , la prévention et la présence de sécurité dans les espaces dédiés. »

Quels sont les mouvements d’action contre les déviances ? Balance ton porc et Cosplay is not consent suffisent-ils ?

Si l’affaire Weinstein a permis de libérer la parole des femmes dans le milieu du cinéma puis ensuite au sein de la vie quotidienne plus largement, depuis quelques temps déjà, on voit apparaître de nombreux témoignages au sein de la communauté geek. Par le mouvement “Cosplay is not consent”, elle a montré qu’elle pouvait se mobiliser pour lutter contre les comportements déviants.

« #CosplayIsNotConsent est le #MeToo des cosplayeuses et l’on peut lire sur les réseaux sociaux des témoignages de comportements déviants »

#CosplayIsNotConsent est le #MeToo des cosplayeuses et l’on peut lire sur les réseaux sociaux des témoignages de comportements déviants. Ces « outting » permettent d’identifier et de repérer les personnes récidivistes. C’est ainsi que des « -gate » ont vu le jour dans le milieu du cosplay. Des scandales ont pu être mis à jour et les personnes identifiées comme déviantes ont été blacklistées du milieu cosplay. En général ces « -gate » ne sortent pas de la communauté mais ont un véritable impact par les bouches à oreilles. On peut noter que cette gestion du groupe pour le groupe des problématiques peuvent apporter des soucis de justice puisqu’il y a par le biais du bouche-à-oreilles tout et n’importe quoi qui peut être annoncé.

Tout comme “Balance ton porc”, “Cosplay is not consent” est un mouvement qui vient des Etats-Unis mais repris en France notamment dans les évènements parisiens (Paris Manga, Japan Expo) où j’ai pu l’observer à travers des engagements personnels de passionnés. « Cosplay Is Not Consent » a pour objectif de prévenir et d’amener à réfléchir autour des comportements et du civisme qu’on les publics du cosplay tant par leur rapport au cosplay que leur rapport aux cosplayeurs.

Exemple de prévention fait lors d’un évènement regroupant cosplayeur et passionné de manga et de science fiction à Paris.

En conclusion, les comportements déviants au sein du cosplay sont un sujet largement discuté au sein de la communauté de cosplayeurs. Nous avons cherché à analyser ici des comportements déviants autour de la pratique du “costume” et du  “play” qui définissent le cosplay.

Nous avons vu à travers une étude américaine rapporté par Dimitri BARABE qu’il y aurait une corrélation entre l’hypersexualisation des character design des personnages et un cyberharcèlement sur les jeux en ligne. Par ailleurs, nous avons fait un pont entre jeux vidéo et cosplay puisque les personnages de jeux vidéo sont des outils du cosplay.

Sur la question du “play”, nous avons vu que les normes informelles du groupe doivent être prises en compte et que tous les comportements ne sont pas acceptables même au nom du “play” c’est à dire de l’interprétation théâtrale du personnage cosplayé.

Les nombreux témoignages lors de rassemblements ou sur les réseaux sociaux permettent d’ouvrir la parole et de pouvoir agir sur les déviances. Les cosplayeurs par le réseau créé des moyens de prévention notamment à travers des vidéos telle que celles de la cosplayeuse/ youtubeuse Alyss Shire suivie par 6 500 personnes qui par des conseils pratiques nous explique comment elle se protège lors d’évènements. Elle dénonce les comportements des amateurs de cosplay ou des photographes. Dénoncer est une chose, mais continuer à éduquer en est une autre peut-être plus adaptée encore ?

Bibliographie :

– Lila Neutre « La vie rêvée des enfants du Cosplay ». [1]

– COSPLAY : DE LA NAISSANCE DU PHENOMENE A SA POPULARISATION – Hitek.f

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